Beth avait mis bien du temps avant de revenir sur l'île. Elle aimait cet endroit presque autant qu’elle le détestait, lui si calme et si paisible, où le jour était mort depuis bien longtemps. Assise sur un plaid, elle observait d'un œil distrait la valse immobile que dansaient les étoiles tous là haut.
Lucyas apparu brièvement dans ses pensées. Il lui manquait parfois, seule personne qu'elle n'ait jamais pu appeler un "ami". Si c'ets bien cela que l'on appelle un ami...
Un soupir las s'échappa de sa bouche vermeil.
Elle ne restera pas longtemps ici, la mélancolie d'une nuit sans fin est bien trop pesante pour l'esprit bohème. Beth soupire une nouvelle fois, et hausse un sourcil. Quelque chose a bougé derrière elle, quelque chose qui n'est pas son escargot. « Bonne nuit » lance-t-elle sur un ton doux.
Qui que ce soit, elle espère juste ne pas avoir affaire à un membre de la gente masculine. Les derniers représentants qu'elle a croisé n'était pas des plus tendres.

La voix qui s'élève est féminine et cela seulement, elle est la bienvenue. L'inconnue ne met que peu de temps à s'asseoir à côté de la Voyante qui, dans un geste régulier, coupe et recoupe un paquet de cartes aux couleurs passées mais aux dorures encore bien nettes.
Les étoiles luisent sans interruptions, et Beth en est presque irritée. « La nuit me donne envie de dormir. » Elle hausse les épaules, les doigts toujours agités sur les cartes. Elle bat le paquet, un nombre impressionnant de fois.
Ses yeux furètent aux alentours et enfin, daignent se poser sur l'inconnue. Une belle femme, à n'en pas douter. Belle mais pas que à en juger par le simple fait qu'elle se soit assise sans se poser de questions. Beth sourit, coupe le paquet, pioche une carte. « L'Impératrice. » dit-elle doucement en montrant la lame àla Blonde; puis la carte trouva sa place dans le paquet et ce fut la fin de son manège. Cette seule carte était très révélatrice.
Et mystérieuse.
Ou pas ou peut-être était-ce juste du bluff. Peut-être que Beth l'appâtait juste pour obtenir quelques pièces de plus. Les étoiles étaient moqueuses. La jeune femme sourit.

Dormir ou tout autre chose ; Beth se fige, l'air pensive, perdue dans ce qui était des souvenirs, souvenirs laissant dérrière eux un vague sourire énigmatique sur les lèvres de la Voyante. Tournant la tête vers l'inconnue, elle se permet de l'oberver sans ciller, de bas en haut, dans un exament un peu plus approfondi. L'impératrice ; malgré le fait que Bethsabée ne soit pas toujours très honnête dans ses prédictions ou ses interprétations, elle ne faisait pas partie des sceptique.
Elle était même persuadée du pouvoir des cartes. Qui composait le vieux jeu qu'elle tenait de sa grand-mère.
« L'Impératrice... » Beth tire ses manches vers le haut, dégageant ses poignets et ses avant-bras graciles. Sa peau est si blanche qu'elle semble luir dans l'obscurité de la nuit éternelle qui règne ici. « L'Impératrice me dit que vous êtes une femme de pouvoir, à l'intelligence vive et quelques peu sceptique, vous êtes forte mais certainement vaniteuse et un peu trop séductrice ; elle me dit que vous aimez l'amour mais que vous vous laissez portez par la frivolité plutôt que par la quête d'une relation longue... »
Sa tirade terminé, Beth fit un sourire délicat et se remit à observer les étoiles, pensive. « Si la carte n'a pas menti, je suis ravie de vous rencontrer. » dit-elle en souriant. Les étoiles brillaient si fort, si loin là-haut. Peut-être prendrait-elle le temps de lui faire les poches si l'envie lui en prend. En attendant, la Blonde s'allonge à son tour au sol.

Etonnant sont les gens que l'ont croise au détour de nulle part ; cette femme ne dérogeait pas à la règle. Rencontre inattendue, chacune jaugeant l'autre similaire à elle-même. Beth sentait chez elle un certain scepticisme, tout autant qu'une fascination qu'elle retrouvait dans les yeux de beaucoup des gens qu'elle croisait sur son chemin. Il fallait dire que la Voyante faisait tout pour laisser un souvenir, même ténu, impérissable. Elle se redressa et exécuta brièvement une petite révérence, un sourire en coin, malin, vissé sur un visage sans défaut. La pièce atterrit directement dans ses mains et disparut bien vite dans un des plis de son corsage. « Bethsabée. »
Le « s » sifflait entre ses dents, laissant une sonorité étrange flotter dans l'air un bref instant. Beth détourna son attention de sa voisine, elle avait eut ce qu'elle voulait sans même avoir à recourir à quelques tours de passe-passe illégal. Elle dégagea ses épales d'une masse de cheveux longs et dorés, qui même sous la lueur des étoiles, arrivaient encore à briller. Sa mère l'avait faire belle, la vie l'avait rendu vénéneuse.
« D'ordinaire, je ne parle pas de moi au premier tête-à-tête. » dit-elle avec un petit sourire. « Jouons à un jeu plutôt, vous avez le droit de me poser une seule et unique question, celle que vous jugez la plus importante de toute en ce qui me concerne. Et je feras de même avec vous. Est-ce que cela vous convient, Mademoiselle... Machin ? »
Jouer, le passe-temps favori de Beth.
Rendre tout compliqué aussi.

Bethsabée vit cette question comme l'acceptation tacite des termes de son jeu ; ainsi sourit-elle, maligne, à la jeune femme blonde. La situation était des plus étranges, comme un intermède dans leurs vies respectives. Une rencontre fortuite et pourtant si évidente. La Cartomancienne pivota légèrement, laissant son regard se perdre dans une galaxie lointaine. Beth était incertaine quand à ce qu'elle allait répondre ; mentir, peut-être. Mais c'était une réaction bien trop évidente.
Et il y avait parfois des choses dont on devait se défaire.
Alors, claquant sa langue contre son palais, Beth prit une décision. Ses lèvres s’entrouvrirent pour commencer un longue histoire :
« Il était une fois... un homme et une femme. L'homme venait du ciel, la femme ne croyait en rien. Ils eurent une aventure qui dura quelques mois à peine. L'homme était membre de l'armée, il fut bien vite rappelé à sa nation, laissant la femme seule. Son ventre s'arrondit les mois qui suivirent et elle mit au monde une fille. Bâtarde joufflue et braillarde aux boucles blondes. » Beth se décala légèrement prenant une position plus confortable. Et elle continua son récit sur le ton d'un conte : «  La petite fille grandit quelques années sans père ; elle était heureuse, sa mère aussi. Puis vint un nouvel homme, beau et plein de promesse. Il séduit la femme et l'épousa, promettant de prendre soin d'elle et de sa fille, même si elle n'était pas de son sang. Ainsi arrivons-nous au moment tragique de l'histoire. »
Beth sourit et se leva de sa place, allant récupérer dans un sac posé plus loin, de quoi faire du thé. Elle mit une dizaine de minutes avant de reprendre son récit ; les yeuxfixés sur l'eau du thé.
« Où en étais-je.... Ah oui ! La tragédie. L'homme plein de promesses laissa tomber son masque de gentillesse la nuit suivant le mariage. Il était bien plus monstre que prince, il aimait la violence et le sang. Et son dévolu, il le jeta sur la petite fille. Il lui fit mal pour la première fois. La petite fille eut peur, incapable de comprendre ce qui animait ces gestes. Elle crut d'abord que c'était de sa faute. Mais elle comprit vite que l'homme était le seul fautif. La violence ne s'arrêta pas à ce jour là et une ou deux années passèrent, dans un quotidien qui était devenu un calvaire. Il tapait mère et fille quand l'envie lui en prenait. Personne ne sut jamais, la honte faisait taire la femme, bien trop fière. « il n'est pas là tous les jours » disait-elle pour se convaincre de ses choix. »

La théière se mit à siffler, Beth la retira du feu. Elle ne souriait plus, les cicatrices de son dos étaint en feu. Il lui fallut encore bien une demi-douzaine de minutes avant de reprendre son histoire. Elle en profita pour servir le thé.
« La petite fille grandit ainsi, et un jour, elle n'eut plus vraiment l'apparence d'une petite fille. Frapper de temps en temps ne suffit plus. »

Beth but un gorgée brûlante de sa tasse, son système nerveux réagit, pas elle. Les yeux dans le vague, elle était ailleurs, perdue dans un passé qui la suivait comme un diable et qu'elle ignorait depuis si longtemps et avec tellement de dédain. Elle avait oublié l'horreur.
« Il se passa quelque chose ce jour là, quelque chose qui rendit la femme folle de rage, si folle de rage qu'elle tua l'homme. Et, honteuse et rongée par la culpabilité, elle mit fin à ses jours. La petite fille fut adoptée par une vieille nomade du groupe principal, qu’elle finit par appeler grand-mère. Et sa vie fut bien plus paisible dès lors. Mais elle restait hantée, meurtrie et abîmée, il lui fallait du temps, de la solidité, il lui fallait un moyen d’oublier. La petite fille était grande, elle décida qu'il était temps de laisser tout derrière elle ; alors elle prit la fuite. Et cetera... »

Une nouvelle gorgée, un soupir.
Douloureuse était la poitrine de la jeune femme maintenant, et son envie de fuir était si grande, si violente, si assourdissante.
Mais impassible, elle esquissa un petit sourire ironique et haussa les épaules, comme pour effacer tout ça.

« Voilà, l'histoire d'une vie. Je suppose que c'est à mon tour alors voici ma question : aimes-tu ton thé sucré ? »
Et Beth élargit son sourire, triste et fatiguée.

Les étoiles scintillent.
Toujours aussi forts, bien plus immuables que n'importe quoi sur cette Terre. Elles scintillent, malgré toute la tristesse et la haine qui parcourt Atlas, elles scintillent. Pour que jamais aucun êtres vivants n'oublient, qu'il y a toujours plus grand que lui.
Alors, si l'univers continue d'avancer, si les étoiles continuent de briller, pourquoi Beth s’arrêterait-elle au passé ?
Et même si.. Même si elle fuit, même si elle a mal, même si c'est difficile, un jour, elle en sera délivrée.
Elle le sait, elle est presque prête à l'affronter.
Presque.
Le thé chaud, la fumée, les étoiles et tout le reste s'harmonise finalement ; Bethsabée pousse un soupir expiatoire.
Le sucre coule et disparaît dans la tasse.
« Ça fait bien longtemps que je n'ai pas croisé la petite fille. » dit-elle, songeuse, un petit sourire énigmatique naissant au coin des lèvres. Cette petite fille qui se terre tout au fond de sa tête, qu'elle en laisse jamais sortir. Mais qui est toujours là, pour lui rappeler à quel point la vie peut être cruelle. Qu'elle est injuste pour les petites filles comme pour les grandes.
« Tu triches. J'avais dit: une seule question. »
Elle rit et but une gorgée.