we'll run for our lives
FAWN & HAYDEN

En règle général, les rares fois où Fawn avait du temps libre, elle allait dans la zone militaire afin de s'entraîner, et elle savait qu'elle aurait dû être en train de s'entraîner après la défaite que lui avait infligée Oberon. Enfin défaite, elle n'avait pas vraiment gagné, ni perdu. Elle n'était pas satisfaite d'elle-même. Elle s'était trouvée en difficulté, face à une arme unique en son genre. Un instant elle avait caressé l'idée d'abandonner, purement et simplement, mais comment ensuite aurait-elle pu supporter l'idée de se dire soldat ? Ses frères aînés avaient profité de son indécision pour l'entraîner dans l'Allée Semitonium. Boire. Pour oublier. Alors Fawn avait bu, raisonnablement, toujours de manière à demeurer maîtresse d'elle-même, mais elle se sentait plus joyeuse, plus audacieuse. C'était normal, vu ce qu'elle avait bu. En sortant du bar, en quittant sa fratrie qui resterait sans doute jusqu'à la fermeture -alors que la foule commençait à affluer- Fawn sortit et se retrouva dans l'allée animée. Bien vite, la jeune femme quitta l'allée pour se retrouver sur la place Lex. Elle s'adossa contre le mur d'un tribunal. Son ventre lui faisait horriblement mal. Elle savait qu'elle n'aurait pas du boire, et elle avait affreusement envie de vomir. Elle se retiendrait, et retiendrait la leçon : ne plus jamais se laisser entraîner.
Fort heureusement, lorsque son regard balaya la place, elle ne vit aucune personne connue. Elle n'était pas en armure, mais en tenue de civile. Ou plutôt, habillée comme si elle allait s'entraîner ce qui n'était pas le cas. Elle se servait des excuses de l'entraînement afin d'éviter de porter des robes. C'était puéril, elle le savait. Personne ne prêterait attention à elle sans armure, sans arme apparente. Elle n'était qu'une citoyenne parmi les autres.
La jeune femme resta là de longues minutes, à observer les gens qui passaient, priant secrètement pour ne pas croiser son géniteur, elle ne l'aurait pas supporté. Mais ce fut un tout autre homme qui attira son attention. Se détachant du mur, elle alla vers lui. En temps normal elle ne l'aurait pas importuné, mais pour le moment cela ne la gênait pas. « Général ! C'est la première fois que je vous croise ailleurs que sur dans la zone militaire. » Sa voix était un peu plus forte que d'habitude, mais au moins elle marchait toujours droit. Qu'elle ne le fasse pas aurait été un comble. Fawn s'adressait évidemment au seul Général qui était un homme. Hayden Knight, qu'elle ne croisait qu'à l'entraînement. Elle ne s'était jamais vraiment intéressé à lui. Fawn en fait ne s'intéressait jamais à personne. Elle ne savait rien des gens. Et elle ne disait rien d'elle-même, en règle générale, et malgré sa curiosité naturelle, cela lui allait. « Et j'étais en train de penser, qu'en fait, je ne sais absolument rien de vous. » continua t-elle avant de penser que peut-être, elle aurait dû garder cette réflexion pour elle, mais trop tard.

Il prenait visiblement plutôt bien le fait qu'elle l'embête. Et se souvenait de son prénom. Un léger sourire effleura les lèvres de la jeune femme tandis qu'elle s'arrêtait ou plutôt se plantait face à lui. Se tutoyer ? Ses sourcils se froncèrent légèrement alors qu'elle haussa les épaules. Généralement elle préférait vouvoyer, c'était plus formel, moins personnel. Enfin si il voulait qu'elle le tutoie, ce n'était pas un problème. Il lui proposa ensuite de marcher, elle se décida enfin à hôcher la tête sans dire un mot. Elle avait parlé un peu fort tout à l'heure, il la croyait sans doute sourde, ou folle. « Est-ce un ordre? » demanda Fawn lorsque Hayden voulut savoir ce qu'elle faisait ici si tard. C'était de la pure provocation. « Je ne suis plus une enfant, je me balade où je veux, avec qui je veux, quand je veux. » répliqua t-elle tout de même en se passant une main dans les cheveux, qu'elle rejeta ensuite en arrière afin de planter ses yeux dans les siens. « Mes frères m'ont demandés de sortir, alors je suis sortie avec eux. » finit-elle tout de même par répondre. En fait, ils ne lui avaient pas laissé le choix, mais elle ne s'était pas plainte, elle aimait ses aînés, même si elle ne le disait jamais et ne parlait jamais d'eux « Et vous ? Toi? » continua t-elle, voulant savoir ce qu'il faisait ici. C'était vrai, généralement elle le voyait à la base, et il était d'autant plus intéressant qu'il venait juste de monter en grade. « Pas trop dure, vos nouvelles responsabilités d'ailleurs ? Non. Tes. » Les habitudes avaient la vie dure. Très. Et même si elle avait l'esprit légèrement embrumée, elle s'en rappelait quand même.

Venait-il juste de dire que les ordres devaient être suivis uniquement s'ils avaient un sens ? De la part d'un Général, c'était très... osé comme réflexion. Même si Fawn était d'accord sur le fond, il n'empêchait que lorsqu'elle recevait un ordre, idiot, ou non, elle l'exécutait, car c'était un ordre, même si cela ne lui plaisait pas. Il était évident qu'être Général demandait du temps, Fawn n'avait qu'à se souvenir de l'état dans lequel Rhéa s'était trouvée. Tout le monde avait besoin d'un peu de repos, surtout les Généraux. Et enfin, en voilà un qui avait compris. En même temps, ne venait-il pas de débuter ?
Fawn haussa les épaules lorsqu'il lui dit qu'elle pouvait le vouvoyer si elle avait du mal à le tutoyer. C'était bon, elle le tutoierait, puisqu'il le lui avait demandé. Cela ne la dérangeait pas, il fallait juste qu'elle s'y habitue. Elle faillit s'arrêter brusquement lorsqu'il lui demanda si elle avait quelque chose à célébrer ou à oublier. Mais elle continua, le plus naturellement du monde -selon elle, et sa perception était atténuée-. Sentait-elle l'alcool ? L'avait-il senti en tout cas ? Ses sourcils se froncèrent. Elle n'avait pas beaucoup bu, moins que ses frères en tout cas. Et puis, elle tenait bien l'alcool, même le ventre vide. Encore une fois, elle haussa les épaules -une sale habitude-.
«Les deux, je suppose. Même si je ne vois rien à célébrer... A part le fait que d'être sortie en ville. » Quand à l'oubli, elle préférait ne pas en parler, rien que d'y penser... Cela la troublait. Elle était persuadée qu'Oberon avait fait exprès de la laisser l'atteindre. Il lui avait dit que non mais, lors d'un combat, si elle avait été une ennemie, elle aurait été tuée. Et cela occupait son esprit, beaucoup trop à son goût. Comment lui reprocher ? Elle n'aimait pas la défaite. « V... Tu as des frères ? Des sœurs ? Une famille? » continua Fawn, curieuse. Elle avait bien dit qu'elle avait des frères, et elle était persuadée qu'il était la seule personne à laquelle elle l'avait dit. En temps normal, jamais Fawn n'aurait dit qu'elle était avec eux si on lui avait demandé d'où elle venait. Elle aurait inventé quelque chose. Rapidement. Pour que personne ne sache et ne pose plus de questions.

Les sourcils de Fawn se froncèrent. Elle ne savait pas du tout comment elle était en ce moment-même et préférait passer cette réponse, un début de migraine pointait. Elle lança tout de même à Hayden un regard suspicieux. Avant qu'il ne lui donne enfin une réponse. Une sœur. Et il n'aimait pas parler d'elle. Fawn pouvait le comprendre. « Je peux comprendre. J'en ai une aussi, de sœur, et moi, je ne l'aime pas du tout, en fait. » Donc elle n'en parlait jamais. Quand à la chose à célébrer, elle le regarda étrangement une seconde fois, se demandant ce que ça pouvait bien être avant de se mettre à rire. Un rire un peu moqueur il fallait l'avouer. Passer du temps ensemble et apprendre à se connaître. C'était si peu... elle. Cela ne lui ressemblait absolument pas. La dernière question la mit légèrement mal à l'aise. Elle adorait ses frères, sans exception, mais parler d'eux ? C'était se dévoiler. Après tout elle n'avait que ce qu'elle méritait, elle faisait preuve de curiosité, il était donc normal qu'on soit également curieux à son égard. Elle entortilla une mèche de cheveux autour de son doigt tout en réfléchissant rapidement. Elle avait déjà dit qu'elle avait des frères, une sœur, cela devait suffire à son avis, aussi répondit-elle « Eh bien, ma famille... disons qu'il y a une raison pour laquelle je ne porte aucun nom de famille. » Cette raison n'était pas sa fratrie, mais son père, mais il n'avait nul besoin de le savoir. « C'est la première fois que j'en parle parce que... eh bien je ne sais pas pourquoi j'en parle. Je n'ai pas envie qu'on sache de quelle famille que je viens sans doute, j'ai envie de montrer que tout ce que j'ai, c'est parce que je l'ai obtenu grâce à moi, aux efforts que j'ai fait, et pas grâce à eux.  » Son père avait refusé qu'elle fasse carrière dans l'armée, le refusait toujours, lui l'un des magistrats les plus en vus de Caelestis. Malgré elle ses poings se serrèrent. En fait, c'était ironique qu'elle refuse de parler de sa famille. Il suffisait simplement de la placer à côté de sa fratrie et nul ne pouvait alors ignorer la ressemblance qu'il existait entre eux.
« Pourquoi vous ne voulez pas parler de votre sœur? » lança t-elle enfin. Et pourquoi voulait-il apprendre à la connaître ? Mais elle garda sa réponse secrète, sans doute voulait-il la cerner ? Fawn aurait du se taire, au lieu de parler, mais pour le moment, elle s'en fichait, et puis, elle n'avait rien à cacher. Et elle était persuadée que ce qui se dirait resterait entre eux.

Les familles. C'était à la fois un merveilleux cadeau et un lourd fardeau à porter sans arrêt. « Me différencier de ma famille, c'est mon unique but. » lâcha t-elle finalement. Ou plutôt, ne pas être associée à son père. Elle aimait ses frères, était fière d'eux, de ce qu'ils accomplissaient au quotidien, sa sœur quand à elle, Fawn ignorait même son travail et son plus jeune frère était toujours en train d'étudier. Seul l'aîné avait choisi l'armée, comme elle. L'avait-influencé ? Pas vraiment, Fawn avait toujours eu ce désir au fond d'elle, mais seulement pour faire comme son frère. Pour elle. « Mais je ne veux pas sortir de l'ombre juste pour me différencier de mes frères, je les aime, et je suis fière d'eux, de leur parcours. Ils m'ont aidé, soutenue. Je veux sortir de l'ombre parce que je veux qu'on reconnaisse ma valeur. » Comme la plupart des personnes à vrai dire. Fawn savait très bien qu'elle n'était qu'une minuscule fourmis au milieu de la fourmilière grouillante. Mais elle ne désespérait pas d'obtenir ce qu'elle voulait, elle était suffisamment têtue pour ne pas cesser d'y croire, et patiente, elle attendrait le temps qu'il faudrait. Et si elle échouait, au moins, elle se serait fixée un but, un but qu'elle n'aurait pas atteint, mais elle se serait battue pour.
Elle fut surprise d'apprendre qu'Hayden était l'enfant de l'ombre. En même temps, elle ignorait tout de lui. Son cœur se serra tout de même, ce devait être terrible d'être mis de côté pour un autre. Fawn n'avait jamais ressenti la solitude. Elle s'était toujours considérée comme heureuse, et même la mort de sa mère, douze ans auparavant, n'avait pas entamé son bonheur. C'était lorsqu'elle avait choisi sa carrière et déçu son père que tout avait commencé. « Mon père a fait tout ce qu'il lui était possible de faire pour m'empêcher de rejoindre la Garde Impériale. Il estimait que ce n'était pas digne de moi... Enfin, pas digne d'une femme.  » Un sourire effleura ses lèvres. Penser à ça ne lui faisait plus rien, parce qu'elle avait eu ce qu'elle voulait : sa place dans la garde impériale et que cela seul importait. « Honnêtement, je ne m'attendais à rien, mais j'avoue que.... Enfin, je trouve que nous nous ressemblons un peu. Nos pères ont tentés de nous dissuader de suivre le chemin que nous voulions emprunter et nous y sommes quand même arrivés. » Pourquoi racontait-elle tout cela ? Elle ferma les yeux brièvement. Elle se sentait très bien, très très bien, mais tout de même, sans doute faudrait-elle qu'elle arrive à se taire. Mais Fawn pour une fois n'en avait pas tellement envie. Elle n'aurait qu'à dire que c'était de la faute à l'alcool. « Et maintenant ? Ils sont fiers de v...toi aujourd'hui? » le questionna t-elle, espérant qu'il ne soit pas arrivé à son rang pour rien.

Fawn l'écouta parler un léger sourire au coin des lèvres. L'ironie du sort frappait toujours. Son père était tombé dans le coma peu avant sa nomination. La jeune femme se demanda comment elle réagirait si son père tombait brusquement malade. Elle ne réagirait sans doute pas à bien y réfléchir, même si cela lui ferait tout drôle de voir cet homme -le seul qui lui faisait peur, qui l'intimidait- tomber. Mais elle était bien placée pour savoir que tout le monde est mortel, faillible. « Pour être honnête. Tu es l'exemple parfait de celui qui a réussi, qui a atteint ses buts, mais tu n'es pas le mien. Je vais sans doute paraître arrogante mais je sais que j'y arriverais. Rien ne pourra m'arrêter. » Et elle se fichait totalement de ce que son père pourrait penser d'elle, ce qu'elle faisait, c'était égoïste, mais elle le faisait pour elle-même et seulement pour elle parce qu'elle souhaitait être heureuse, elle l'était bien sûr, mais elle savait qu'elle n'était pas suffisamment exploitée. Elle se contentait de surveiller, et s'entraîner, tout le temps. Si seulement tout pouvait bouger un peu plus. Une guerre, ce serait bien pour Fawn, l'occasion de se défouler. Enfin, elle pensait cela sûrement parce que son esprit était légèrement embrumée, elle ne pensait pas aux conséquences que cela aurait. Elle s'arrêta brusquement, posant une main sur son ventre, sentant un haut-le-coeur. Elle n'aurait sans doute pas dû marcher. L'envie de vomir la reprenait soudainement, mais elle se refusait à vomir. Surtout pas devant lui, et elle ne dirait rien, ne se plaindrait même pas. « Je... C'est une proposition qu'on ne refuse pas Général. Je m'en souviendrai. » Même si au fond elle préférait se débrouiller toute seule, et puis elle pouvait bénéficier de l'aide de Rhéa également. Elle le pensait. « Et si on s'asseyait quelques minutes ?  » fit-elle en désignant un banc. Sans attendre de réponse, elle s'y précipita et s'assit, pliée en deux. De brusques bouffées de chaleurs lui faisait tourner la tête. Ce n'était vraiment pas le moment de se sentir mal, et tout ce que Fawn pensait, c'était maudire ses frères et se maudire elle. Ils devaient encore être en train de boire, et elle, elle était là, mal.
Elle bloqua sa respiration, inspirant et expirant. Elle n'osait même plus relever les yeux de peur de croiser le regard d'Hayden et de se demander ce qu'il pouvait bien penser d'elle. Elle balaya cette pensée, c'était son jour libre elle faisait ce qu'elle voulait.

Fawn se redressa d'un seul coup lorsqu'elle entendit Hayden lui demander de prendre un congé si jamais elle était enceinte. Elle évita de se mettre à pouffer bêtement même si elle se sentait légèrement mieux -le fait de s'asseoir sans doute-. Elle était mal à l'aise à son contact, même si cela partait d'un bon sentiment, elle se dégagea en se décalant légèrement. « Merci mais... J'ai juste trop bu. » lâcha t-elle finalement. Les cocktails surtout, saleté de trucs, c'était tellement délicieux, et on ne sentait guère l'alcool dedans. Les compétitions contre ses frères aussi. Ces géants de deux mètres qui pesait au moins une centaine de kilos pouvaient boire tant qu'ils voulaient eux, ou en tout cas, beaucoup plus qu'elle. La vie était si injuste parfois. « Et je ne vomirai pas. » rajouta t-elle en serrant les dos. Non elle ne vomirait pas. Jamais elle ne vomirait quoi que ce soit. Elle n'était pas malade, et n'allait pas s'humilier. Elle n'était pas une débutante, elle avait déjà bu, s'était retrouvée dans des situations bien pires que celle-ci, raison pour laquelle elle s'était promis de ne jamais refaire ses erreurs. Et honnêtement Fawn allait bien, elle se contrôlait, elle n'avait pas envie de se mettre à danser au milieu de la place ou de se mettre à chanter le plus fort possible. Elle avait juste envie de parler, ce qui était à peu près normal, mais elle était sûre que si on la défiait, elle irait remporter le pari. En temps normal, elle l'aurait fait aussi d'ailleurs. « Sérieusement. » reprit-elle en levant les yeux au ciel « Moi enceinte ? Pourquoi est-ce que je perdrais du temps à pondre un gosse ? Qu'est-ce que ça m'apporterait ? Rien du tout, ça me fera perdre du temps. Et mon temps est consacré à mon travail. En plus un enfant, c'est peut-être mignon, mais ça hurle, ça bave, ça sent mauvais, il faut toujours le surveiller, c'est pire qu'un animal de compagnie et on se le coltine touuuuuute la vie. » Elle en avait fait l'expérience avec son petit frère. Un monstre. Un vrai petit monstre. Son père n'avait pas bougé un doigt pour engager quelqu'un alors qu'il en avait les moyens, il avait préféré laisser ses enfants gérer ça. Fawn secoua la tête en murmurant « J'ai déjà testé ça et plus jamais. » Plus jamais effectivement. Fawn avait beau être patiente, elle ignorait si elle pouvait l'être avec un enfant sans avoir envie de le balancer par dessus la cité. Dans le vide. Les enfants c'était mignon à regarder, à voir courir partout, ils étaient d'une telle innocence, et d'une telle faiblesse. Trop fragiles. C'était ça qu'elle n'aimait pas. Elle était trop blasée, elle en avait conscience, et égoïste, mais au moins, cela la regardait elle et personne d'autre. Une famille. C'était bien la dernière chose à laquelle elle pensait. Elle en avait déjà une, et n'en voulait pas d'autre. « Excusez-moi, si ça se trouve, vous aimez bien les enfants vous. J'espère que vous en avez pas. » fit-elle, parce qu'après tout, elle avait été très dure envers les bébés. Ses paroles pouvaient vexer.

Les enfants étaient mignons, plus facilement gérables lorsqu'ils avaient quelques années au compteur. Mais bon, il fallait bien passer par le stade où ils étaient incapables de se débrouiller par eux-même avant ça. Fawn se souvenait que son petit frère était insupportable, un vrai perroquet tellement il bavardait sans arrêt. Heureusement l'adolescence l'avait rattrapé et il était toujours morose, de mauvaise humeur, ce qu'elle préférait parce qu'au moins, il avait cessé de la soûler même si maintenant il tenait tête à tout le monde ce qui n'était pas forcément plus agréable.
Il avait hâte de la voir atteindre son but. Fawn espérait l'atteindre aussi. « Rien ne dit que je l'atteindrai. Je ne prétends pas que je réussirai, enfin je pense que si, mais il y a d'autres personnes qui ont exactement les mêmes buts que moi. » Même si Fawn bénéficiait en plus des relations. C'était vrai, elle s'entendait extrêmement bien avec Rhéa, moins avec Rozen, mais cela, elle ne pouvait pas lui en vouloir, la Générale était un peu semblable à un porc-épic, on n'avait pas vraiment envie de s'y frotter. « La justice... » continua t-elle. Tu voulais me connaître non ? Voir ce que je voulais? » fit Fawn en plissant les yeux légèrement. Sans doute était-ce pour cela qu'il avait répondu à ses questions et qu'elle avait parlé d'elle aussi. Ce n'était pas plus mal en un sens, même si c'est quelque chose qu'elle n'aurait jamais fait si elle avait été sobre. Elle secoua légèrement la tête, un léger rire s'échappant de ses lèvres. « Tout le monde n'a que ce mot à la bouche ici, la justice. C'est très important, mais honnêtement je pense que nous passons tous à côté de quelque chose... » Fawn aurait dû être horrifiée de dire quelque chose comme cela, elle qui faisait en sorte que toujours justice soit faite. Mais elle venait de révéler une pensée plus profonde et plus intime, une pensée qu'elle aurait dû taire, c'est comme si elle remettait publiquement l'existence du Dieu Caelestis en cause. Elle aurait sans doute du se sentir inquiète, mais étrangement elle se sentait plutôt confiante. Elle pouvait être jugée, peu lui importait. « Cela me paraît trop... superficiel. Est-ce juste que l'on chasse les gens trop pauvres pour garder une bonne image? » Sa phrase s'était achevée en un murmure « Que l'on tue les gens qui en aiment d'autres de nations différentes? »  

« Tout ça c'est tellement compliqué et honnêtement je ne me sens pas tellement en état de dialoguer ou même de réfléchir sur ce sujet pendant des heures, ça me donne trop mal à la tête » grogna Fawn en secouant la tête. Elle étendit ses jambes devant elle en ne disant mot, elle ne réfléchissait à rien, pas aux paroles qu'Hayden venait de prononcer, des siennes. Elle fixait juste un point au milieu de la place avant de décider à se lever. « Protéger, c'est notre priorité de toute façon. Et ce qui devrait arriver arrivera. » continua t-elle. Tout ce qui importait. Elle fit quelques pas avant de se retourner. Il fallait qu'elle rentre, elle ne s'était que trop attardé ici, en sa présence et elle n'aimait pas forcément cela, se sentir plus faible, observée, découverte, bien que discuter était agréable, ce n'était pas son occupation favorite, elle n'aimait pas être cernée. Et elle préférait cuver toute seule chez elle, en espérant qu'elle ne croiserait personne le lendemain, elle savait déjà qu'elle serait d'humeur massacrante. « Je crois que je devrais rentrer maintenant. Je risque de ne pas être très en forme demain sinon. » Un sourire étira ses lèvres, elle ne le serait certainement pas et ce n'était pas un bon point pour elle, elle voulait toujours être au mieux de sa forme. Pour se donner totalement, atteindre ses buts, sans que son propre corps soit une contrainte pour elle. « Je ne dirai pas que j'ai été ravie de te croiser mais... la faute me revient puisque c'est moi qui suis venue. Et je suis trop bavarde quand je bois, en plus. » déclara t-elle. Un mensonge. Elle avait été plutôt satisfaite à vrai dire, d'en savoir un peu plus sur lui, même si lui en savait aussi sur elle maintenant. Mais elle ne le dirait pas, jamais, ce n'était pas le genre.

L'autoriser à la ramener chez elle ? Effectivement Fawn n'était absolument pas partante. Elle était peut-être un peu ivre, mais elle savait parfaitement où elle habitait et rejoindrait son habitation sans encombre. Si elle avait toujours habité chez son père, elle n'aurait eu qu'à marcher à peine quelques minutes, puisque son père possédait une maison à côté de la place Lex où il travaillait, mais là, elle habitait vraiment plus loin. Hayden rajouta que c'était son anniversaire. Et que la raccompagner serait un beau cadeau. Fawn ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel, légèrement sceptique. « Ton anniversaire ? Tu es tout seul le jour de ton anniversaire? » demanda t-elle. Personne ne devait rester seul le jour de son anniversaire, même si Fawn trouvait que c'était un jour comme les autres. Peut-être disait-il cela pour la faire plier? Mais elle ne pensait pas qu'il mentait. Elle savait de toute façon qu'elle allait plier et accepter qu'il la raccompagne. « D'accord. Si ça peut te faire plaisir de me raccompagner pourquoi pas, mais j'habite loin, et honnêtement, ce n'est pas un très bon cadeau ça. Je t'aurais bien proposé d'aller boire un verre mais j'ai déjà trop bu. Désolée. » Et elle se mit à marcher en direction d'une rue qui quittait la place Lex, vérifiant d'un coup d'oeil derrière elle si il la suivait. C'était son anniversaire. Elle fut curieuse de nouveau. « Alors, quel âge a mon Général aujourd'hui? » fit Fawn, souriant. Une année de plus. C'était en partie parce qu'elle avait horreur du vieillissement que Fawn préférait oublier qu'elle avait un anniversaire, elle se disait qu'un jour elle serait diminuée physiquement, perdrait tout ce pour quoi elle avait passer de longues heures, et elle détestait penser cela.

Il préférait de ne pas parler de son âge ? Elle pouvait le comprendre puisque c'était un sujet qu'elle n'aimait pas forcément aborder non plus, même si plus les années passaient, et plus le temps était clément envers les hommes plutôt qu'envers les femmes. Il lui répondit en chuchutant. 27 ans. Fawn faillit s'étouffer. Avait-il si honte de son âge ? « Vingt-sept ans, c'est un âge parfait! » se contenta t-elle de répondre. Elle avait 27 ans également, depuis quelques mois seulement. « Je peux comprendre qu'on puisse vouloir être seul le jour de son anniversaire. Après tout, j'ai lu que c'est ce jour-là que l'on a le plus de chance de mourir, à cause sans doute, de la fête etc... Enfin, je pense que c'est faux, pour nous, soldats. On a des chances de mourir tous les jours et elles ne sont pas plus élevées le jour de notre anniversaire » fit-elle avant de se renfrogner légèrement. Venait-il sérieusement de lui demander son âge ? Elle aurait pu minauder en disant qu'on ne demandait pas l'âge d'une dame, que c'était malpoli mais, elle n'était pas une dame, et elle n'avait pas de temps à perdre à faire semblant, cela ne lui ressemblait absolument pas. « J'ai vingt-sept ans aussi, depuis quelques mois. » répliqua t-elle en lui lançant un regard de travers. Elle savait qu'il savait que c'était malpoli de demander cela, cela se voyait. « Il faudra célébrer ton anniversaire, ton nouveau rang. Mais quoi d'autre encore ? Si il y a d'autre chose ? J'avoue que je suis curieuse. Mais je m'en tiendrai très certainement à l'eau personnellement. » L'eau, c'était bien l'eau, et bon, ça n'apportait aucun effet négatif, sauf si on en buvait trop bien sûr. Fawn se souvenait d'une vieille histoire où une fille avait bu de l'eau jusqu'à tomber dans le coma, un coma duquel elle n'était jamais sortie évidemment.
Elle tourna dans une rue, allongeant le pas, ayant vraiment hâte de rentrer chez elle. Le lendemain, elle irait s'entraîner, cela ne pourrait lui faire que du bien. « Alors, tu penses à ta vie le jour de ton anniversaire. Estimes-tu avoir atteint ton but? » ne put s'empêcher de demander encore Fawn. Il était Général après tout, c'était déjà un rêve pour beaucoup.

vraiment désolée du temps que j'ai mis à te répondre!

Il ne comptait pas mourir de sitôt. D'un côté Fawn trouvait ses paroles rassurantes bien qu'elles soient en totales contradiction avec le surnom dont il était affublé. Néanmoins elle ne préférait faire aucune remarque sur ce point-là, pour une fois. N'étaient-ils tous pas un peu fous lorsqu'il s'agissait de combattre ? Fawn savait très bien que si, elle mourrait volontiers pour sa nation, sinon elle ne serait pas dans la garde Royale, elle mourrait même si la reine le lui demandait dès le lendemain, pour sa nation, toujours. Et de toute façon, c'était leur lot à tous d'y passer.
La jeune femme était néanmoins curieuse de savoir quel était donc son but. Pourquoi ne se contentait-il pas d'être Général ? C'était déjà si haut. Enfin, elle était stupide. Pas comme Hayden. Les personnes comme lui ne se contentaient jamais d'un acquis, mais visaient toujours plus haut, et c'était bien, dans un sens. « Je serais curieuse de savoir quel est ton... rêve, ton but, je l'avoue. » Le bien-être de tous ? Etait-ce cela ? Ou plus encore ? Et qui étaient ces « tous » ? Caelestis seulement ? Ou les autres nations ? « Je suis ravie de savoir que tu me considères comme étant un soldat loyal, vraiment, et tu pourras compter sur moi autant que tu voudras, du moment que ma loyauté envers la nation et envers notre Reine n'est jamais remise en doute. » Fawn approuvait le passage sur les pions, elle en avait parfaitement conscience. Ses journées étaient toutes semblables les unes aux autres : des gardes, des rotations, de la surveillance. Tout était chronométré, appliqué à la lettre. Tout le temps. Et les pions étaient déplacés par d'autres. Cela ne la gênait pas, elle savait à quoi elle s'était engagée. Et le supportait.
Fawn s'arrêta devant une petite porte, celle de sa maison, une petite maison nichée entre deux grandes demeures. « Je ne suis pas du genre à me confier aussi facilement que ça. Surtout quand il s'agit de mes propres rêves. Mais je me fais confiance, j'y arriverai. J'attendrais, je suis patiente. » Surtout pas se confier à un supérieur. C'était la dernière chose à faire.
La conversation l'avait mise dans un état de questionnement, de réflexions, les pensées se bousculaient dans sa tête, ce qui n'était pas une bonne chose pour elle. « Je suis arrivée, en tout cas. » commenta t-elle ensuite simplement. Arrivée à bon port. Ce qui n'était pas étonnant, ici à Cassiopeia, jamais rien ne se passait. Nul n'était en danger.