« Je t’ai trouvé. »

Annie étira un sourire, ses mots s’adressant à une fine racine élimée, aux reflets bleutés. Elle était rare et surtout précieuse quant à certaines maladies venant du sol extérieur. Certains explorateurs nullement armés de masques à gaz, revenaient avec des symptômes peu recommandables. Et cette plante guérissait certains d’eux, elle coûtait chère sur le marché, alors Annie était heureuse d’en trouver une qui lui servirait amplement.

La jeune femme déposa sa trouvaille, après l'avoir soigneusement coupé, avec soin dans son sac en bandoulière. En se relevant, elle se retrouva avec son collier sur le museau, fronçant le nez pour le remettre à sa place. Tu sais bien faire les grimaces. Les paroles de Corey résonnèrent en souvenir dans sa tête, il se moquait gentiment de son tic habituel ; ne jamais utiliser ses mains pour remettre son collier en place, c’était plus amusant sans.

De plus belle, Annie s’avança entre les racines, avec soin et lenteur, pour dénoter toute autre possible plante utile à son métier d’herboriste. Il ne lui restait que quelques heures, avant de rejoindre son mentor nomade et s’orienter vers le domaine sous-marin. Cette idée la rasséréna, cela faisait bientôt un an qu’elle n’avait vu Corey, et elle avait moins peur de se rendre dans le district pour aller le voir, avec presque la totalité de l'argent qu'elle lui devait. Mais allait-elle seulement être bien accueillie ? Cette pensée l’assombrit. Il devait être soulagé de ne plus l’avoir sur le dos, ou bien il ne vivait plus tout seul. Elle imaginait déjà la scène ; toquer, et se retrouver nez à nez avec une femme. Cette possibilité lui pinça le cœur, elle secoua la tête et se remit à sa recherche. Il n’y avait pas raison de penser ainsi ; il pouvait très bien refaire sa vie, et elle devait juste le rembourser pour sa gentillesse et son attention, ainsi tout irait bien dans le monde du géant.

Se convaincant peu à peu de ses propres idioties, Annie faisait moins attention à ce qui l’entourait. Son sac s’emmêla dans des racines tombantes.

« Zut… »

Annie tira. Elle tira de plus belle pour que le sac se détacha. Oh. Il se détacha, avec une avalanche de racines l’accompagnant. Ces dernières tombèrent sur la chevelure blonde d’Annie, qui sur le coup tomba sur son royal fessier en poussant un jappement de surprise. La voilà bien, dans un sac de nœuds plus compliqué que ses propres cheveux le matin. Elle commença à en jeter quelques unes de ci, de là, en espérant que personne n’allait tomber sur cette situation fort honteuse. Puis, un bruit. Annie tourna vivement la tête. Elle se croyait seule, il fallait qu’elle se sorte de là avant qu’on la voit comme ça.

Dire que Corey avait galéré ? Si peu...Mais récapitulons un peu le tout.
Après le départ précipité de Annie, il y a un an, notre homme s'est retrouvé dans pas mal de situation. Tout d'abord il du faire face ses propres crises de nerfs. Le premier mois fut difficile. Se réveiller sans la trouver, rentrer du boulot sans la trouver non plus...le choc était de plus en plus difficile chaque jour passant. Mais grâce à certains collègues, il apprit à remonter la pente et à aller de l'avant. Les mois suivants furent tout de même chaotiques mais ils étaient plus...philosophiques. Apprendre à se concentrer, à prendre sur soi, à relativiser...c'est grâce à un maitre de la relaxation qu'il prit un tournant et qu'il pu se recentrer, se posant un challenge.

L'oublier, il ne saurait pas. Le c*n, il était fou amoureux, personne de son entourage n'avait jamais vu quelqu'un comme ça. Même lui s'étonnait. Mais la retrouver, bien que l'idée soit folle, n'était pas impossible. Il s'efforça donc de faire au mieux chez lui, au boulot et sans congés pendant tout le reste de l'année, il demanda 2 mois de vacances cash pour faire un petit tour du monde. Son patron ne fut pas contre, à sa grande surprise, et c'est ainsi que Corey s'engagea dans une aventure rocambolesque. Ou clownesque, au choix.

Sérieusement, vous avez déjà vu un poisson voler ? Non, bien. Parce que c'est un peu le périple tumultueux que du subir notre homme le premier mois. Persuadé que Annie était rentré à Caelestis, bien que bannie, c'est là-bas qu'il se rendit en premier. Le vertige, vous connaissez ? Bingo ! Il a été malade pendant un bon mois et son premier vol en avion, n'en parlons pas. Bref. Sa sortie fut vaine, mais il savait à présent qu'il allait pouvoir chercher sur terre. Et pour une fois, ses recherches furent fructueuses.

Le nom de Annie n'était pas inconnu auprès de certains. Ils restaient souvent flou, mais quand il les menaçait, bizarrement, tout était à nouveau plus cool. De fil en aiguille, suivant sa trace du peu qu'il le pouvait, il se retrouva ici, à je-ne-sais-combien de mètre sous terre. Ceci dit, il était plutôt à l'aise. C'était toujours mieux que parmi les drôles d'oiseaux qu'il avait rencontré plus haut.

Grommelant, il se faufila dans ses ronces qui n'en finissaient pas. Il s'était écorché les bras, les jambes, les mains, un ours restait un ours, peu importait le climat, n'est-ce-pas ? Là le principe était le même, il touchait bien trop au but pour renoncer maintenant. Ceci dit, il n'espérait pas trop encore, la dernière personne qu'il avait rencontré avait parlé d'elle comme n'étant pas bien loin, mais il pouvait encore tomber sur une énième personne qui lui parlerait de la direction à prendre.

Et c'est là que des bruits attirèrent son attention...

Je touchais au but, j'le savais. Mais bordel, je me demandais quand même parfois pourquoi je faisais ça. Je ne devais pas être bien net, mes potes avaient raison. Et puis t'façon, après tout ce temps, j'allais lui dire quoi au juste ? Oh merde. Ouais, j'allais...non je pourrais pas. NAN MAIS c'est pas le moment de faire marche arrière ! Fallait y penser avant mon vieux ! S'que t'es bête, ça te ronge trop le cerveau cette histoire...gmf.

Il regardait alors enfin là ou il avait entendu du bruit et plus que tout au monde, s'approcha, que cela soit une bête ou autre. Sauf que ce ne fut pas ce à quoi il s'attendait, mais bien mieux. Le St Graal. Le St Graal encore en détresse, à ce qu'il voyait.

Hm, bon, comment engager la conversation...Tu m'as trop manqué, je viens t'aider ? Non, deux informations en une seule, ça le fait pas. Roooh encore dans de beaux draps ! Non plus, ça fait neuneu. Annie, j'peux savoir ce que tu fou ? Ah ouais, mieux, bien mieux...ARG laisse moi te prendre dans tes bras ! NON, surtout pas ça !

Au final, pas un mot ne franchi la barrière de ses lèvres, tandis qu'il l'attrapait par le bras, la soulevant pour la faire sortir de tout se débarra de ronce. Et puis, il y eut le bonjour solennel.

« T'as toujours pas grandi. »

Erm.

« T’as toujours pas grandi. »

Ah bon ? Aurait été sa pensée saugrenue, si son cerveau n’était déjà en arrêt sur image. Quand Corey apparut, Annie resta immobile, elle pensait à une illusion, et puis elle papillonna des paupières. Non, ce n’était pas un mirage. Il la sortit de son piège d’un mouvement rapide et sans efforts, et Annie se tenait là, une racine encore sur le haut du crâne, complètement hébétée.

T’as toujours pas grandi. Une parole plutôt naturelle et habituelle venant de Corey, se dit Annie, mais quand même, dans la situation actuelle… Il n’avait pas pu trouver mieux ? Une effusion de questions suivit dans son crâne, puis son cœur s’emballa et son sourire s’agrandit jusqu’aux oreilles. Il était bien réel, elle n’avait pas eu un coup sur la tête, et surtout eh bien, il était là, face à elle, qu’importe la raison. Une joie débordante anima ses iris, et Annie plia ses jambes, sauta à pieds joints au cou de Corey, sans hésiter. Ah bah bravo, voilà qu’elle ne touchait plus terre. Ses petits bras la retenaient au géant océanique, tandis qu’elle exclamait son nom.

« COREY ! »

Annie resta quelques instants, pendue grotesquement ainsi. Elle se sentait soulagée, soulagée de le voir ici, qu’importe la raison. Annie ne broyait plus du noir, pas des moindres, tout semblait reprendre des couleurs et des sons nouveaux à ses yeux et oreilles. Puis, retour à la réalité, sa vieille blessure tirait sa peau dans son dos. Annie lâcha donc son étreinte si sincère à contrecœur, et atterrit de plus belle au sol, sur ses deux pieds. Elle leva le menton, la racine tomba mollement par terre et fixa le géant. Et ses pensées fusèrent au point que ses propos en étaient incompréhensibles.

« Qu’est-ce que tu fais ici ?! Pourquoi t’es pas en bas ? J’ai pas encore tout pour te rembourser désolée. Et puis c’est quoi cette manière de me saluer ?! En plus, c’est toi qui est trop grand. Tu aurais pu m’envoyer une lettre comme quoi tu étais absent à la cité sous-marine. J’aurais fait quoi en trouvant ta porte close la semaine prochaine ?! Et puis, pourquoi tu es blessé ? Tu as fait des bêtises ? Tout va bien ?… Qu'est-ce qui te prend de voyager ? »

Et Annie continuait son charabia, sans s’arrêter. Ce que tu lui avais manqué.

J'suis pas le plus beau, ni le plus sexy, ni même le plus intelligent ou le plus doué dans une discipline, mais la persévérance, je connais et je...

Tout ça, c'était dans sa tête. Mais ça ne sortait pas. Combien de fois s'était-il répété cette scène imaginaire des tonnes et des tonnes de fois ? Combien de films d'horreur avait-il du se farcir à chaque fois qu'il pensait pour arrêter de papillonner comme le plus grand imbécile du monde ? Vous n'imaginez même pas à quel point. Non, non. Enfin, le principal était dit non ? La voir alors lui sauter dessus eux un effet quelque peu très positif sur notre homme, quoi qu'il advienne, tellement il était au ange de la voir réagir ainsi. Bien évidemment, il mourrait d'envie de lui dire pleins de choses gentilles, mais à la fois, pleins de choses méchantes également.

Enfin, je ne pouvais pas dire grand chose dans l'immédiat. Elle n'arrêtait pas de parler. Elle pensait vraiment que c'était le moment ? Ceci dit, ça me laissait le temps de ne l'écouter que d'une oreille et juste de l'admirer. Tandis qu'elle me lâchait, moi je la reprenais dans mes bras, la portant par les fesses, les yeux rivés sur ses lèvres rosées, ses oreilles pointues, son petit nez aquilin et ses longs cheveux blonds. Et puis d'un coup, d'un seul...

« J'ai passé des nuits blanches à penser à toi. A me demander ou tu étais partie. Je me suis inquiété, et quand j'arrivais à dormir, je rêvais de toi. Je te déteste, toi, ta petite taille, tes oreilles d'elfes et tes manies de petite fille bien rangée. »

Sauf qu'elle savait que je l'aimais pour tout ça, pas l'inverse. Bon, maintenant je sentais que la chaleur me prenait les joues, le plus dur était sorti, enfin non, pas le plus dur, mais tout ça était tellement sorti naturellement que je pensais que c'était le minimum syndical, que je pouvais souffler un moment à présent.

Il n'allait malgré tout pas devoir se contenter de ça comme réplique. La gardant contre lui, récupérant son sac qui était tombé au sol, il était alors retourné sur le sentier principal, mais sans la lâcher pour autant. Il l'avait retrouvé, au moment ou il la poserait au sol, c'est qu'il aura eu sa dose de Cocannie. Ok c'est mauvais.

« Et toi, j'peux savoir ou tu es partie ?! Tu m'as laissé du jour au lendemain, avec un simple mot et une tarte au pomme ! Parce que t'as cru que j'allais la manger ta tarte peut-être ?! » Bon, Grumpy Corey, calme toi. « Elle était trop bonne j'ai pas pu la laisser périmer. MAIS QUAND MEME. Je...tu... »

Il gonflait les joues. Si, si, sérieusement. Le grand, le fort Corey Verzziero avait un comportement très peu approprié, mais n'était, en même temps, pas vraiment habitué à gérer ce genre de situation.

« Ça fait presque 2 mois que je te cherche...Annie...revient à la maison... »

Et tout ça, sans réussir à un seul instant à répondre à ses questions.

Annie fut un peu surprise de se retrouver de nouveau dans les airs, mais pas gênée. C’était Corey, il savait ce qu’il faisait, et Annie savait qu’il faisait attention. Elle était presque assise sur son bras, quoiqu’on pouvait le dire ; c’était le cas. Et son dos ne lui faisait pas mal, Annie le savait, Corey le faisait exprès. Ce geste, elle l’appréciait. Ce geste lui manquait. Et Corey ne la laisserait pas tomber, Annie avait confiance.

« J'ai passé des nuits blanches à penser à toi. A me demander ou tu étais partie. Je me suis inquiété, et quand j'arrivais à dormir, je rêvais de toi. Je te déteste, toi, ta petite taille, tes oreilles d'elfes et tes manies de petite fille bien rangée. »

La jeune femme resta de nouveau, quelques temps silencieuse, surprise, terriblement surprise par ces mots. Même si Corey ne la laissait pas tomber, elle se sentait chuter. Elle ne s’attendait pas à ça Annie, ni à ses joues roses, un géant peut rougir, oui oui. Annie déglutit, Annie pensait. Tout ce qu’il lui disait allait à l’encontre de ce qu’elle imaginait. N’était-elle pas un boulet ? Alors il pensait à elle, Annie réfléchit, peu. Au fond, ne faisait-elle pas la même chose ? Elle voulait le revoir une dernière fois, et le voici, là. Mais ses mots la décontenançaient. Annie ne comprend pas, ou plutôt, elle se focalise sur le seul sujet inutile dans sa tirade.

« J’ai… J’ai des manies de petite fille bien rangée ? »

L’herboriste semblait comme déçue d’elle-même. C’était fréquent chez elle ; se concentrer sur le plus léger, car le reste rendait son esprit aussi blanc qu’une page vierge.

« Co… Corey j’ai pas fini de cueillir des… Okay d’accord… »

« Et toi, j'peux savoir ou tu es partie ?! Tu m'as laissé du jour au lendemain, avec un simple mot et une tarte au pomme ! Parce que t'as cru que j'allais la manger ta tarte peut-être ?! Elle était trop bonne j'ai pas pu la laisser périmer. MAIS QUAND MEME. Je...tu... »

La seconde partie de sa phrase mourut dans sa gorge, tandis qu’il reprenait la parole. Son géant avait gros sur le cœur, Annie ne s’y attendait pas, car Annie est idiote. Et Annie allait oublier pour le moment sa cueillette de champignons, dirons-nous. Corey semblait presque en colère, l’était-il ? La petite se le demandait. Mais ses mots, curieusement, ils lui faisaient plaisir, seulement elle ne savait qu’en penser, elle ne savait que dire. Et elle avait comme l’impression qu’elle n’avait pas le droit de ressentir de la joie à les ouïr.

La tarte lui avait plu, c’était le principal. Annie ne put s’empêcher d’étirer un petit sourire de satisfaction. Corey possédait un certain esprit de contradiction, mais au fond, elle avait appris à lire entre les quelques lignes. Pour autant, elle touchait du doigt un principe qu’elle s’était posée et qui était complètement faux. Corey tenait à elle, oui, cette imbécile pensait le contraire.

Alors il la cherchait ? Et il la voulait avec lui ? Annie enfouit son visage dans son foulard aux mêmes nuances que ses yeux, histoire de cacher ses joues un peu roses, et sa tristesse. C’était étrange, deux sensations contradictoires qui lui réchauffaient le cœur et le glaçaient dans un même temps. Il la voulait près d’elle, il voulait être avec elle.

« J’ai presque vu le monde qui nous entoure. » Dit-elle en réponse à sa question.

Presque. Annie n’avait pas tout vu, et c’était ça qui la peinait. Au fond, elle voulait rester avec Corey, mais d’un autre côté, il y avait tant de choses qu’elle ne connaissait, tant de choses qu’elle voulait se prouver, et tant de choses à réparer, en premier Mihael. Annie retint ses larmes de frustration, la frustration d’être aussi invraisemblable, d’être aussi futile.

« Ça fait presque 2 mois que je te cherche...Annie...revient à la maison... »

Silence. Ah, c’était à son tour de parler, alors Annie parla. Elle posa sa main dans les cheveux de Corey et joua avec, par habitude.

« Ça me fait bizarre ce que tu me dis, enfin, je suis rentrée dans ta vie comme ça, sans te demander. Tu aurais pu continuer ta vie au lieu de prendre soin de moi, et je me sens totalement inutile et coupable. Je ne veux vraiment pas être un boulet, et tu vois enfin… »

Annie sentit qu’elle s’enfonçait, à présenter ses idées saugrenues, et plus elle en parlait, plus elle sentait qu’elles étaient incompréhensibles et stupides. Elle reprit autrement, avec une pointe d’assurance dans la voix et un sourire léger sur les lèvres.

« Je n’aurais jamais pensé que tu voyais les choses ainsi. Ça me fait plaisir, j’ai un peu honte de le dire, ça me fait plaisir que tu m’aies cherché, et j’ai pensé la même chose. Je pensais souvent à toi tu sais, durant mes voyages. Je voulais vraiment te revoir, mais j’ai peur de te ralentir, ou bien d’être un fardeau. »

Une notion qu'elle exécrait ; être un fardeau. L’herboriste enleva sa main des cheveux de Corey, sentant un poids lourd peser sur son crâne, sur ses épaules et son cœur.

« Je suis désolée Corey, je veux vraiment être avec toi, mais je ne veux pas rentrer à… Chez toi. Ce n’est pas ma maison, ma maison, je veux la créer de mes mains et puis… C’est idiot mais je veux me prouver et montrer que je suis utile, apprendre et découvrir. Je n’ai pas tout visité et je veux tout visiter Corey, je veux explorer, comprendre, et réparer mes erreurs. Je veux revoir Mihael, cela me tient terriblement à cœur de régler cette histoire. Et revenir dans le domaine marin, pour une vie plus sédentaire, je n’en suis pas capable pour le moment. Je vais trop penser, je vais avoir mal à force de me remémorer des souvenirs mauvais et j’aurais des regrets. Je serais juste inutile et incapable de rien toute seule. Je te rendrai malheureux. »

Annie prit une pause, elle venait de donner ses raisons, et cela lui faisait du mal. Au fond, elle aurait voulu rester avec Corey, mais si c’était pour être à demi-présente, à s’enfermer dans sa nostalgie et à ne pas bouger, à quoi bon ? Elle ne serait rien du tout.

« Je suis désolée de t’avoir inquiété… Et je n’ai pas des manies de petite fille bien rangée. »

Oui, ce dernier point lui tenait à cœur.

« J’ai… J’ai des manies de petite fille bien rangée ? »

Elle...elle n'avait que ça à répondre ? Sérieusement ?! Ok, je n'étais pas mieux dans le domaine, mais je pensais que pour une fois, elle aurait un peu plus de répartie. Mieux encore, qu'elle comprendrait ou je voulais en venir. Mais nous étions deux imbéciles au final, non ? Soupirant, la voyant se camoufler dans son foulard, je cherchais à comprendre pourquoi. Elle avait l'air gêné. Je n'étais pas vraiment pas doué pour les sentiments humains, cependant, je n'avais aucun remord à la voir ainsi. Elle m'avait tout de même laissé tout seul, je concluais tout de même qu'elle n'avait pas apprécié ce que je lui avais avoué.

« J’ai presque vu le monde qui nous entoure. »

Cool. Tu m'as planté, pour voir "presque le monde qui nous entoure". Je ne savais alors pas trop ce qui m'habitait en ce moment même. De la colère, de la tristesse, de l'incrédulité ? Mêlé à ce sentiment de bien-être et de satisfaction actuelle, c'était un mélange plutôt dur à contenir. La main dans mes cheveux me ramena malgré tout à la simplicité, ne plus penser, juste l'écouter. Et c'est ce que je fis.

Un boulet ? Et...penser à moi aussi ? A nouveau, deux sentiments contradictoires. Une envie de la claquer, l'autre de la serrer contre moi, tellement j'étais heureux qu'elle ne m'ait pas oublié pour autant. Et là, elle m'acheva.

« Je suis désolée Corey, je veux vraiment être avec toi, mais je ne veux pas rentrer à… Chez toi. Ce n’est pas ma maison, ma maison, je veux la créer de mes mains et puis… [...] Je serais juste inutile et incapable de rien toute seule. Je te rendrai malheureux. »

Silence, à nouveau. Je me contentais alors de la fixer, avec ce poids sur le cœur. Mal, elle venait de me transpercer le cœur de la pire façon qu'il soit. Tu viens de me faire souffrir en 5 minutes bien plus que tu le pourrais en une vie. C'est ce que je pensais et que je me retenais de lui dire. Comme un muet, j'étais incapable de dire ce que j'avais sur la conscience. Je l'avais reposé au sol doucement, avant de m'asseoir sur cette terre sèche.

« Cueille tes plantes. »

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S'il avait mal ? Euphémisme. Il s'était cloitré dans un mutisme assez impressionnant, ceci dit, il ne bougeait pas et il fixait Annie comme si il allait la reperdre, comme si c'était son devoir de la surveiller au cas où elle se ferait attaquer par une bête ou je ne sais quel sauvage. Il lui avait fait des signes de la main pour lui faire comprendre qu'elle n'avait qu'à ramasser ce qu'elle avait à faire, il attendrait de toute manière. Il cherchait les mots, quand bien même ils ne venaient pas. Fâché, il l'était. Mais le lui dire, impossible. Et tandis qu'elle finissait, il se relevait pour l'accompagner en dehors de la forêt, sauf qu'il l'arrêta en chemin, attrapant son bras pour qu'elle lui fasse face.

« Je ne veux pas de ton argent. Ce n'est pas ce que je veux de toi. »

Difficile de faire plus clair à l'heure actuelle. Même si lui dire qu'il l'aimait ne serait certainement pas pour aujourd'hui, il cherchait un moyen de lui faire comprendre qu'il ne comptait pas la laisser comme ça, la laisser repartir sans rien dire.

« Et si ce n'est qu'un sujet de maison...je...je pourrais t'aider pour en construire une ? » Et de faire le clown. « Je doute fort qu'avec tes petits bras maigrelets tu puisses faire une maison à toi toute seule. »

Je refuse aussi que quelqu'un d'autre fasse une maison avec toi. Sinon j'le frappe. Au passage.

« Et si, tu as des manies de petite bourge. Mais j'aime ça. Mon linge ne sent plus ce que tu mettais pour le laver. Tu aurais au moins pu me dire comment tu faisais. »

Erm. Bis.

« Cueille tes plantes. »

Il avait l’air en colère. Annie opta pour garder le silence et opiner du chef. Ses pieds au sol, elle s’orienta vers quelques racines, mais n’avait plus le cœur à chercher quelques unes d’elles. Quand Corey gardait le silence, c’est qu’il n’allait pas bien en général, elle avait à peu près appris quelques unes de ses manies. Si Corey préférait ne pas parler, Annie se dit qu’elle ne le forcerait pas.

La demoiselle regardait les racines, mais ses yeux semblaient ailleurs. Visiblement ses mots l’avaient blessé, elle cherchait à le comprendre. Peut-être parce qu’elle ne voulait pas revenir chez lui ? S’il était mal à cause de ça, elle devrait le faire. Une partie d’elle semblait le penser, l’autre la contredisait. Elle serait inutile et malheureuse, et elle cherchait encore sa place en ce monde pour supprimer ces deux choses de son esprit.

Après quelques minutes, l’herboriste revint vers Corey, posant la lanière de son sac sur sa propre épaule, et le dépassant avec lenteur. Elle devait rejoindre son groupe de nomades, pour autant, elle le voulait moins. Annie aurait aimé passer plus de temps avec Corey, il avait passé du temps à la chercher, de ce qu’elle avait compris. Les remords qui suivirent cette pensée brouillèrent ses yeux d’une certaine peine ; elle se sentait terriblement égoïste.

« Je ne veux pas de ton argent. Ce n'est pas ce que je veux de toi. »

Annie fronça les sourcils d’incompréhension. Il ne voulait pas de son argent ? Mais elle avait passé tellement de temps à l’obtenir pour être quitte, pour enfin le laisser tranquille, qu’il puisse vivre sa vie.

« Je ne comprends pas, qu’est-ce que je dois faire ? Je veux te rembourser mes soins, enfin, c’est la moindre des choses que je puisse faire, non ? »

Annie n’en était plus si sûre. S’il ne voulait pas de son argent, elle ne savait quoi lui donner, et cela l’apeurait presque.

« C’était une métaphore… Je veux juste réparer mes erreurs et créer mon univers, on va dire ça comme ça. Et des manières de bourge ?! »

Même s’il aimait ça, elle se surprenait de cet adjectif dont il la désignait. Une bourge, rien que ça… Était-ce ses manies restées du domaine céleste ? Elle se le demandait. Par esprit de contradiction, Annie donna un coup léger dans le bras de Corey, rien de douloureux, de toute manière elle doutait de faire du mal à cet homme avec ses… maigres bras. Hum. Annie se mordit l’intérieur de la joue.

« Vu que tu es là, je n’ai plus trop d’intérêt à aller sous l’eau. Je devrais aller à Cassiopeia… »

Et parler à la Reine. Cette idée lui serra la gorge, néanmoins elle devait le faire. Annie secoua la tête, pour sortir de ses pensées noires. Corey était là, il n’avait pas à souffrir de sa mauvaise humeur. La demoiselle étira un grand sourire à son attention.

« Je n’ai pas à rentrer tout de suite voir mon mentor, on peut passer du temps ensemble si tu veux bien !… Et soigner tes plaies, comment as-tu pu te faire du mal avec des racines ?! »

Annie se le demandait. Elle finit donc par s’asseoir, comme ça, sur le chemin et l’invita à faire de même. Même s’il s’agissait de blessures bénignes, Annie ne le laisserait pas partir sans l’avoir quelque peu soigné.

« Tu es en colère ? »

Oups. Elle avait laissé parler son angoisse sans réfléchir. Annie ne voulait pas le voir en colère, elle ne voulait pas le blesser ou autre, et ses choix semblaient tous aller vers cette direction malgré tout. La demoiselle réfléchissait à une solution pour lui rendre le sourire... Enfin, si on peut parler de sourire dans son cas.

Je ne savais plus quoi faire. Lui dire ce que j'avais sur le cœur était fait en tout cas, même si je ne trouvais pas tout à fait les mots juste, les mots qu'il fallait pour que je lui fasse comprendre ma peine. Et si je pensais qu'elle m'avait achevé toute à l'heure, il n'en était en réalité rien. Elle me faisait tout de même comprendre, dans l'immédiat, que en plus de ne pas rentrer avec moi, elle m'accordait qu'un peu de temps maintenant, car elle ne devait pas rejoindre son mentor de suite ? La colère me prit alors entièrement, rongeant la tristesse, tandis que je ne pouvais pas enregistrer ce qu'elle m'avait dit avant. Je me reculais vivement, fronçant les sourcils, avant de hausser le ton comme jamais.

« Tu m'accordes un peu de temps parce que tu dois rejoindre je-ne-sais-qui après ? » Je la vis s'asseoir à ce moment là, elle ne devait pas s'attendre à ce que je -presque- crie. « Si je suis en colère ? BIEN SUR QUE JE SUIS EN COLÈRE ! Ça va faire 1 mois et demi que je te cherche ! 1 MOIS ET DEMI. Je viens de parcourir entièrement le ciel malgré mon vertige, et à moitié la terre pour te trouver ! CA VA FAIRE UN DE P*TAIN MOIS ET DEMI que je te cherche, et toi, tout ce que tu trouves à me dire c'est : je n'ai pas à rentrer tout de suite ? Je devrais aller à Cassiopeia ? »

Je m'arrêtais alors, comprenant que si il y avait du vivant dans le coin, tous avaient fuis. De plus, je voyais bien dans son regard que ma colère transpirait presque la rage, chose que, même si je maitrisais, tout le monde ne savait guère qu'elle serait ma vraie réaction. Et je ne voulais pas l’apeurer.

Me retenant d'en dire plus, ma mâchoire chercha à se serrer, avant de le faire, puis de fermer les yeux, de prendre une grande inspiration et...de cogner dans un arbre. Il ne devais pas être bien solide car se dernier craqua sous mes doigts, ne me provoquant aucune douleur et donc justement, l'envie de recommencer. Par contre, un vrai cri de rage sorti de ma gorge comme une prière faite à ses Dieux qui nous pourrissent la vie, pour que cela monte jusque leurs oreilles, avant de me calmer, enfin, et d'oser, malgré la honte qui me prenait, regarder à nouveau ma petite Annie.

« Je... » Presque comme un murmure... « Je ne pensais jamais avoir à te dire ses mots, tout du moins, pas aussitôt. Je...je veux que tu rentres Annie, parce que ma vie sans toi...je ne suis plus rien... »