Plus le temps avançait et plus le général se familiarisait à son nouvel environnement. Les péripéties qu’il avait vécues depuis son arrivée étaient multiples et avaient peu à peu forgé un être totalement différent. Passant d’une attitude prétentieuse à une  manière d’être beaucoup plus agréable, il pensait être devenu un chef un peu plus compétent. Lentement, il élaborait ses plans d’action pour mener les changements qui étaient nécessaires entre les relations des deux régions. Or, depuis son arrivée, il avait cette vague impression qui venait miner peu à peu son moral. Il ne comprenait aucunement la provenance de cette incompréhension. On aurait dit un virus qui s’était incrusté dans le corps de toute la population. Or, il n’arrivait nullement à capter la présence du stigma pour être en mesure de trouver un remède. N’ayant aucun choix, il avait  pris la décision de rencontrer un homme qui saurait répondre à ses interrogations. Du moins, c’est ce qu’il pensait. Rencontrer le fameux diplomate qui s’occupait des relations intercontrée risquait de mettre le général sur la piste qu’il devait suivre. Avec un peu de chance, celui-ci pourrait même devenir un allié pertinent. Malheureusement, il fallait être stupide pour penser de manière si utopiste. Le chevalier savait mieux que quinconce que ce ne serait pas une situation absente de difficultés, d’autant plus que les Caeliens avaient la manie de traiter les autres nations comme étant des mystères ou de simples sauvages. En bref, rien qu’en discutant avec la population, il avait cru percevoir une teinte de haine. Pire encore, ce n’était pas une animosité liée à un stéréotype qu’il pouvait infirmer, c’était bel et bien une haine qui avait des motifs précis, voire presque tangibles. En bref, la réticence envers le peuple du ciel était basée sur des faits concrets.

-Il y a quelqu’un ? Je suis Général de Caelestis et j’aimerais discuter au diplomate qui s’occupe des relations internations.

Son poing venait de marteler la porte en bois à de multiples reprises pour annoncer sa venue. Dès le départ, il ne pouvait s’empêcher de s’avouer qu’il n’aimait pas cette manière de se présenter. Généralement, il aurait préféré être confortablement assis à la place normalement occupée par l’hôte en attendant le propriétaire des lieux. Dans ce genre de situation, Hayden savait qu’il avait totalement le contrôle de la situation. Or, il devait se contenter d’attendre lamentablement qu’un homme probablement âgé d’une centaine d’années se lève les fesses pour daigner ouvrir la porte. Bref, si cet obstacle ne s’ouvrait pas, la nécessité de préciser son mécontentement risquait d’être superficielle… Les priorités ne pouvaient être négligées et celle-ci était la première, il allait bientôt retourner à Caelestis et il fallait qu’il ait cette conversation…


©Cain

Dès le premier contact, Hayden se retint de pouffer de rire. Il ne s’attendait pas du tout à rencontrer un homme aussi jeune. En fait, s’il avait eu les cheveux gris , celui-ci aurait pu ressembler à la description mentale qu’il s’était faite. Or, les traits du diplomate étaient beaucoup trop jeunes pour être ceux d’un vieillard. Par contre, quelque chose clochait. Dès le premier contact, il avait senti le manque de sincérité de son interlocuteur. Si le timbre de voix devenait un indice de taille, les éléments non verbaux étaient intacts, ne laissant aucune preuve du manque de plaisir qu’il ressentait déjà. Si seulement cet homme savait à qui il avait affaire, il ne se serait probablement pas donné autant de peine.

-Volontiers pour le dé.

Calant ses iris dans ceux de son interlocuteur, Hayden prit le temps de s’asseoir, ne tardant pas à marquer la conversation d’un ton qui lui ressemblait. Être passif durant une longue durée était hors de ses cordes. Il fallait qu’il passe à l’action, chaque minute était comptée et ses précédents supérieurs avaient probablement trop longtemps tourné autour du pot. Il comptait révolutionner la manière de procéder.

-Par contre, je désire mettre les règles d’usages pour la tenue de la conversation.

Sans en attendre l’approbation, il poursuivit, déblatérant les propos que le jeune homme risquait de trouver fort déplaisants, au plaisir du général.

-Nul besoin de se faire de cachoterie. Nous savons tous les deux que les relations entre nos deux peuples sont teintées d’hypocrisie. Je ne désire pas que nous tournions autour du pot en agissant comme si nous étions en bon terme. Je veux résoudre ce problème, mais pour cela, j’ai besoin de vous. Je ne comprends pas vraiment d’où il est issu même si une idée me dit que c’est la mentalité Caelienne et sa pseudo justice qui est derrière tout cela.

S’arrêtant un moment, il laissait Scipio digérer les propos qu’il avait entamés.

-Aujourd’hui, je suis surtout venu pour comprendre pourquoi notre situation est ainsi…


©Cain

Hayden était attentif, prenant soin d’examiner à quel genre d’homme il avait affaire. Contre toute attente, celui-ci n’était pas un jeune frustré qui avait été endoctriné par ses ancêtres. Il semblait être un homme suffisamment réfléchi pour comprendre la complexité de ce qu’Hayden tentait de faire. Or, avant tout, certaines rectifications d'usage devaient être soulignées et ajustées.

-N’ayez pas peur de m’offenser. Je ne suis pas une créature fragile et je suis bien au-delà du sentiment d’appartenance aveuglant mon jugement. Sinon, si j’ai bien compris, vous préfériez que Caelestis enlève son armée sur vos territoires et vous laisse l’administrer seul?

Les iris du jeune homme ne bougeaient pas d’une seconde, tentant de capter la moindre réponse à cette interrogation. Au plus profond de lui, Hayden trouvait cette solution sensée, mais trop utopiste. Il devait bel et bien avoir une raison pour laquelle une armée protégeait chaque territoire. Bien qu’il ne comprenait pas tout à fait pourquoi chaque région n’avait pas sa propre armée, le blondinet voyait aussi l'existence de conflits devant un potentiel désagrément. Ainsi, la situation devenait beaucoup plus complexe, arborant une problématique qui nécessiterait du temps, mais surtout de la collaboration.

-Nous savons tous les deux que l’armée Caelienne existe pour une raison. Je ne sais pas à quel degré les Caeliens fouillent dans les affaires des autres régions, mais je pense surtout que ce sont les relations diplomatiques qui sont en mauvais état. Le tout donne donc une mauvaise vision de l’armée à la population.

Se préparant à déblatérer ses propos, le jeune homme huma légèrement le thé avant d’y tremper la langue. C’était chaud, trop chaud comme la suite de la discussion.

-En toute sincérité, j’ai des plans d’action, mais ceux-ci ne valent rien en ce moment si elles ne sont pas adaptées à la situation actuelle.

Devenant de plus en plus précis et pointu dans ses propos, il n’attendit aucunement le moment propice pour dévoiler son mécontentement.

-D’ailleurs avant d’avancer, j’aimerais mettre au clair certaines choses, sinon notre conversation risque d’être une course dans un champ de mines. Premièrement, Caelestis ne fera jamais disparaître son armée. Du moins, pas pour le moment. Deuxièmement, les Earthéens n’aiment pas les Caeliens et vis versa. Ainsi, les deux se considèrent comme déchet ce qui nuit toute possibilité d'en venir à une entente. Donc, de part et d'autre, il y a des fautifs, sommes-nous clair à ce sujet?

Le général était du genre à répondre à ses propres questions, car la patience n’était pas à l’ordre du jour. Il était probablement aussi frustré que Scipio de voir l’état délabré des liens connectant la cité verte à celle du ciel. Or, en tant que général, il ne supporterait pas de travailler dans un tel chaos.

-Sommes-nous en accord?

Sirotant son thé de manière inaudible, le chevalier voulait éviter de bousculer l’Earthéen plus qu’il ne l’avait fait. Hayden était connu pour ne pas mâcher ses mots et analyser la situation. L’homme qui se dressait devant lui était beaucoup trop habitué à la formalité pour se concentrer sur les vrais sujets. Hayden tentait ainsi de lui faire comprendre qu’il était différent et qu’il ne servait à rien d’utiliser son énergie à formaliser leurs échanges. Ce qu’Hayden voulait c’était un échange naturel et fluide, comme la liberté que prônait Earthéa.

©Cain

Attendant que l’opportunité qu’il avait créée s’ouvre totalement, Hayden prit le temps d’analyser les dernières paroles de son interlocuteur pour évaluer leurs poids et leurs valeurs. Contre toute attente, l’homme à la longue chevelure semblait ouvert aux propositions du général. Que ce soit par pure courtoisie ou par simple intérêt, il était tout de même plus avantageux pour lui et son peuple de l’écouter que de l’ignorer. Hayden allait commencer par détruire les sentiers quotidiennement empruntés. Il voulait tenter l’inaccoutumé et explorer des terrains que nul n’avait envisagé pour le moment.

-Comme vous le dites, mes idéaux ne sont que des idéaux. Or, ce qui les distinguera sera l'effort que nous mettrons conjointement à leurs réalisations. Vous serez donc le pilier qui saura me dire franchement si elles marcheront ou pas. Je vous fais confiance sous ce point.

Changeant d’approche, Hayden tentait de montrer à Scipio qu’ils dépendaient l’un de l’autre. Ainsi, il essayait d’établir un certain lien de confiance même s’il n’était pas tout à fait confortable avec cet homme. L’essentiel était dans son argumentaire, pas dans ce qu’il dégageait.

-Premièrement, je trouve que porter des armures est ridicule. En parlant avec un marchand et quelques habitants, j’ai cru remarquer que les armures Caeliennes créaient une barrière infranchissable pour la formation de liens entre les deux nations. On dirait deux camps opposés ou une ville assiégée.

Sirotant rapidement son thé, il ne tarda pas à poursuivre son monologue.

-Je voudrais si possible que les militaires portent vos habits de manière à ce qu’ils en apprennent un peu plus sur votre culture et qu’ils s’intègrent dans la population. Ensuite, je voudrais ouvrir la possibilité aux habitants d’Earthea de faire partie de l’armée s’ils le désirent. Sincèrement, je ne sais pas ce que mes supérieurs en penseront, mais peu importe leurs idéaux, je risque d’avoir des arguments assez solides pour leur clouer le bec une bonne fois pour toutes.

Prenant de plus en plus ses aises à démontrer qu’il n’était aucunement présent pour créer une situation totalement en défaveur des Earthéens, il poursuivit l'explication de ses idées de plus belle, sachant qu’il avait probablement capté l’attention de l’intellectuel.

-Finalement, je voudrais que l’armée et les chasseurs effectuent des échanges. L’armée pourrait montrer aux chasseurs à se défendre de manière plus concrète tandis que les chasseurs leur donneraient des connaissances en matière de survie et de chasse à l'armée de l'air. Je suppose que l’interaction des deux groupes  permettra de consolider une symbiose.

Finalement, avant même que Scipio ose penser qu’il était totalement en faveur des Earthéen, les paroles du général martelèrent la fin de ses idées.

-Par contre, il faudra qu’une personne ose oublier les stéréotypes stupides qu’elle a sur les Caeliens pour que le tout passe. Heureusement, vous êtes le premier sur la liste. Qu’en dites-vous?

S’il n’était pas un homme qui contrôlait bien ses émotions, un dangereux rictus se serait tracé sur son visage satisfait. Or, pour ne pas pousser l’insolence qu’il venait de prononcer plus loin, il s’en tint à ses paroles qui devaient être plus que suffisantes pour frapper la conscience du savant.

©Cain

Les idées du blondinet passaient, mais pas le reste. La conversation venait de changer de pivot, empruntant la route qu’elle aurait dû prendre avant qu'ils ne discutent de politique. Chaque parcelle de ce monde reprenait son vrai chemin alors qu’Hayden cernait de mieux en mieux l’homme à qui il parlait. Cependant, une barrière infranchissable l’empêchait de savoir ce qu’il voulait vraiment connaître.

-Les sujets importants sont traités, donc je pense que nous devrions privilégier celui-ci. Ainsi, vos sentiments personnels n’entreront pas en conflit avec votre travail et tout le monde sera heureux.

Lui faisant un clin d’œil provocateur, Hayden prit le temps de boire une gorgée de ce merveilleux thé. Les gens de cette région avaient un merveilleux don pour faire des choses délicieuses. Que ce soit visuellement ou au en goutant, il appréciait bien cette région. Le seul stigma était cet homme qui refusait de céder à la colère qu’il portait en lui.

-Je doute que ce soit une bonne chose d’ignorer certaines choses alors que je veux vous comprendre.

Changeant de position sur le siège sur lequel il s’était assis, Hayden tentait de changer la dynamique pour aborder une position beaucoup plus propice à l’écoute, mais beaucoup plus confortable. Il semblait prendre ses aises, mais ce n’était que pour mieux indigner l’intellectuel.

-Je ne suis plus le général Hayden Knight. En ce moment, je suis Hayden et vous êtes Scipio. Nous sommes deux hommes, un de Caelestis et l’autre d’Earthea et je veux savoir ce que vous pensez sincèrement de nous.

Il fallait aussi comprendre que si cet homme avait des stéréotypes, ceux de la population risquaient d’être beaucoup plus élevés. Il devait commencer par saisir où la haine commençait et généralement le nœud le plus important de ce genre de chaîne commençait chez les plus intelligents. Ils étaient indirectement le relai des idées que la société finissait par adopter, car ils avaient souvent l’influence nécessaire pour la divulguer. Disons que dans une société comme celle dans laquelle ils évoluaient tous, le pouvoir était souvent confié à ceux qui utilisaient le mieux leurs talents.

-Mais surtout les motifs qui expliquent votre vision du peuple d'où je viens.

©Cain

Tout s'expliquait maintenant... Hayden comprenait mieux, relâchant d’un seul coup sa concentration. Nul besoin de l’examiner avec plus d’attention, le problème était beaucoup plus profond qu’il aurait osé l’imaginer. À vrai dire, il se sentait légèrement désolé, mais pas pour les raisons populaires. Il se sentait désolé pour Scipio puisqu’il savait que celui-ci n’échapperait pas à sa vigilance. Les sens d’Hayden avaient tout capté et il venait de le cerner.

-Vous vous êtes fait exiler n’est-ce pas?

Abordant cette fois-ci un ton beaucoup plus clément et doux, le général se sentait légèrement mal en apprenant une telle situation. En fait, il n’avait aucune confirmation, mais il imaginait que ce devait être quelque chose du genre. Qu’il le nie ou non, ses mots n’avaient pas adouci la réalité que vivaient les gens qui se faisaient exiler de Caelestis.

-C’est à Caelestis que vous avez développé votre langage, n’est-ce pas?

Il fallait être idiot pour ne pas remarquer l’écart de langage entre les Caeliens et les Earthéens. Ce n’était pas une question d’éducation, mais surtout une question de simplicité. Là où le peuple du ciel vivait de manière constipée, les Earthéens étaient plus vivants et plus naturels. Un Earthéen, bien que diplomate ne pouvait parler comme les hautes aristocraties Caelienne. Les habitants de la terre verte étaient beaucoup moins hypocrites et préféraient vivre leurs mots au lieu de les chercher.

-Tout compte fait, vous n’avez pas besoin de répondre à mes questions. Je tiens simplement à m’excuser.

Se levant de manière inattendue, le blondinet se transformait soudainement en ange, offrant sympathie et compassion à l’intellectuel.

-Je ne vous dirais jamais que j’ai vécu ce que vous avez vécu, ni même que je comprends dans quelle situation vous vous êtes retrouvé.

Prenant du temps pour amortir ses paroles, un calme effrayant transparaissait à travers tous ses gestes non verbaux. Pour une fois, Hayden transpirait la compassion et l’amour, non la haine et l’animosité.

-Mais je tiens à m’excuser pour tous les torts que mon peuple a pu commettre.

Lui tendant la main, Hayden termina le tout par de puissantes paroles.

-Je ne vous demande pas d’accepter mes excuses. Je veux simplement que vous acceptiez les changements que je compte opérer de manière à briser les êtres vulgaires qui se croient au-dessus de tout.

©Cain