En pleine nuit. Même dans les tréfonds de cette bonne vieille planète, Yuuka comme beaucoup savaient quand la nuit était tombée ou non. Leur horloge biologique, un truc du genre, comme se plaisaient à dire les anciens. Peu importe ce que c'était, ça n'en restait pas moins que la nuit, on dort. Certaines personnes ne comprennent pas ça. Pour une fois qu'elle dormait dans un lit et pas quelque part dans un arbre ou sur un rochet, ou pas du tout d'ailleurs. Pour une fois qu'elle se plaisait à sentir la mollesse du coussin sous sa joue et qu'elle sombrait dans un repos bien mérité. Elle avait osé tomber la tenue et s'être lavée à fond. Elle avait osé de détendre comme le faisait tant de femmes ici et voilà que cette vieille folle de Palombra venait tambouriner à sa porte comme si le toit de l'immense voute menaçait de s'effondrer. Chef Yuuka, qu'elle l'appelait... Ce surnom stupide. Yuuka n'aimait pas les surnoms. On l'appelait par son nom, son prénom ou son grade, mais pas tout mélangé, et puis sérieusement, même si ça faisait grognon, elle préférait qu'on ne l'appelle pas du tout, surtout quand elle se faisait sa première vraie nuit depuis bien sept jours. Une vraie nuit qui n'en était plus une. Quoi!

La tignasse bouclée en bataille, elle se redressa sur ses coudes pour se frotter le visage et s'enroula dans un drap ample, s'avança vers la porte, qu'elle déverrouilla et ouvrit, la tête dans le paté. D'une main fine elle poussa ses mèches en arrière et fixa la petite vieille, qui la lorgnait de haut en bas, avec un air médusé.
- Quoi... , souffla la gradée de mauvais poil.

Il est vrai qu'elle n'était pas présentable, il est vrai aussi qu'elle n'était pas très poli, mais j'aimerais bien vous y voir, avec cette naine ridée qui s'excitait sur sa porte à possiblement réveiller tout le quartier si elle refusait de se relever et puis qui sait, ça pouvait être urgent aussi.

Le vieillotte rouvrit sa boite pleine de dents fausses ou pourries et dit, en lui attrapant le drap pour le secouer. "Blurpy a disparu!" Woh woh, on se calme la vieille, secoue pas ça comme ça, et puis c'est qui ce Blurpy.... Si c'était son animal de compagnie, c'était du foutage de gueule là. La petite bouclée la fixait dubitative, du genre à ne pas être alarmé du tout. "Mais Blurpy!!! Mon gros bestiau!" "Gros comment..." "Gros comme... ça!" Elle montra une grosse charrette pas loin. Ah oui. C'était du bestiau ça. "Votre monture?" "Non Blurpy c'est mon gros sucre d'amour, je n'oserai jamais lui monter dessus, vous imaginez, si je lui fais mal ou si je lui casse quelque chose? Oh non, je ne m'en remettrai pas..."

Yuuka la regarda à son tour et secoua la tête lentement en se massant le nez de deux doigts, soupirant. Gros sucre d'orge. On l'avait levé pour un sucre d'orge.... Si seulement elle pouvait lui dire que c'était elle qui allait se péter un truc si elle montait dessus et pas le bestiau qui aurait mal, mais ce serait insulter cette pauvre femme. Bon ok, elle était mécontente de ce réveil à l'arrache, mais ce n'était pas comme si elle n'était pas habituée. En réalité, les réveils doux, elle ne connaissait pas, personne ne lui avait jamais fait cet honneur, alors autant ne pas briser les habitudes n'est-ce pas. Elle jeta juste un froid "J'arrive" , avant de refermer la porte et de s'habiller.

Elle enfila ses jambières, pagnes, short, brassière, s'attachant les cheveux en tresse plaquée sur le crâne et attrapa une cape qu'elle passait pour les froids nocturnes. Cela restait un monde souterrain. La nuit, c'était parfois très froid. Elle prit une fiole de liqueur, et l'attacha avec sa ceinture qui lui tombait sur les hanches. Puis elle serra ses bottes de cuir noir fortement et sortit. La fatigue était déjà loin. Elle suivait la bonne femme jusqu'à l'endroit de la dite disparition, espérant de tout coeur que ce ne soit pas une simple amnésie. Les vieux, ça oublie tout et ça fait "oups" constamment.

Yuuka observa un peu partout, chercha dans les autres étables et tomba sur une flaque d'un truc bizarre à une des entrées. Elle s'accroupit et toucha du bout des doigts. Ses brassards bien ancrés sur ses bras ne bougeaient pas. Elle s'essuya les doigts dessus et sentit. Bizarre... elle connaissait cette odeur mais d'où.... C'était animal et instinctivement, elle savait que son souvenir était mauvais. Elle demanda à la petite vieille de rentrer chez elle, et choppa un des sentinelles de nuit pendant une ronde, pour lui demander s'il avait vu d'autres flaques de cette substance. Il répondit que oui. Elle se laissa donc conduire à l'endroit repéré. En effet, les zones humides étaient bien plus importantes et des insectes était même morts dedans.... ça datait... Et les traces allaient dans des galeries normalement condamnées. A moins que quelque chose ait fait sauté ce passage... Au sol, plusieurs races trainées, comme si on y avait emporté plusieurs choses lourdes.... Et sur les murs quelques poils, différentes couleurs, différents odeurs, différents hauteurs... Un prédateur... imposant au vu de la bave ou substance digestive qui tapissait le sol...

Elle jeta un coup d’œil aux jeunes sentinelles, mais y vit de la peur. Bon... Inutile d'y aller avec eux, ce serait du suicide. Elle donna un ordre. Aller chercher un gradé chez les chasseurs. Elle avait besoin d'un binôme expérimenté et qui a du sang froid, pas de mômes qui avaient peur de leur ombre... Et dire que c'était elle la femme... Certes, elle n'était pas rassurée, mais le vrai courage sied à ceux qui ont peur mais qui y vont quand même. Du coin de l'oeil, elle entendit son fidèle Struner arriver, et il sentit. Il devait la chercher depuis tout à l'heure. Son grognement violent confirma que ce qui se cachait plus bas n'avait rien d'amical. Trop près de Demetrio, elle ne pouvait pas laisser ça comme d'autres soucis secondaires, où on se dit "boh on verra plus tard, dites moi si autre chose disparait". Le sentinelle était parti chercher quelqu'un. Mission d'urgence. Elles étaient rares mais tous savaient qu'ils pouvaient y être confronté. Finalement, la vieille avait bien fait. La petite carrure s'assit sur un rochet imposant, un peu en hauteur, gardant à l’œil cette entrée au cas où quelque chose en sortirait, et somma à un autre sentinelle en poste avec elle, d'aller lui cherchant une liste de matériel. Nourriture, éclairage, écharpe chaude, grapin, corde, lame supplémentaire etc. Le classique pour une excursion de courte durée...En espérant que ce soit de courte durée... Puis elle attendit calmement, le regard dans le vide, sa main sur la tête de Strunker, qui fixait l'obscurité, énervé.

Le sentinelle revint avec tout son matériel. Il n'avait rien oublié. C'est bien, il progressait le petit. Elle se leva, ota sa cape, pour se fixer une protection ventrale de cuir renforcée de ruban de métal très fins se chevauchant pour permettre l'articulation du ventre. Des avants bras de cuir et métal, comme des écailles discrètes, un genre de maille de reptile en fer, des petites commandes au forgeron du coin. Ces choses n'était que des équipements superflus, peu lourds, mais bien souvent, cela lui avait permis de ne pas perdre un membre, un organe ou la vie. Elle enfila des protections similaires au mollets fait de cuir très épais. Le tout couleur prune comme le reste. Elle était reconnaissable au milieu de ses hommes. Elle se retissa les cheveux et remit la cape. Un keffieh noir autour du cou. Corde à la taille, quelques explosifs liquides fait maison dans des bulles de cuir, ce qu'il fallait pour faire des étincelles, des rations de nourriture dans une besace accrochée taille et hanches, le long d'une cuisse. En arme, ses deux bons kukri rutilants en fourreaux, fraichement payés pour agrémenter son stock, fixés dans son dos, par dessus la cape, et une dague dans sa botte gauche. Et son bon vieux Yari sculpté. Strunker viendrait avec eux bien sûr. Elle finit de fixer l'outre de peau pleine d'eau derrière sa taille à sa ceinture, et une dernier petit sachet mystère, puis retourna s'asseoir à l'abri des regards, attendant.

Elle ne s'attendait pas à voir arriver le chef des chasseurs de bonne humeur. Peut-être l'avait-elle fait lever, ou bien couper dans une partie de jambes en l'air, ou une partie de cartes, peu importait. Les hommes grincheux bizarrement, elle s'en accommodait, peut-être à cause de son caractère aussi pourris que le leur. Dans sa famille c'était religion, les gueulards ou les hommes autoritaires. Elle n'avait jamais eu à travailler avec lui, et lui devait juste connaitre son nom. Un nom qui pour les inconnus sonnaient souvent comme un ... Yuukais. Ou un Yukis, ou encore Yukayis. Un homme en somme. Elle attendait de voir sa réaction. Demetrio était grand et elle était chef depuis moins de trois ans, même si elle était dans le métier depuis 14 ans maintenant. Les gens ne la connaissaient pas trop, elle préférait rester discrête et laisser croire qu'elle était un homme, ça passait mieux auprès de la majorité masculine. Seuls ses hommes, sa famille et les hauts de Demetrio, comme ceux du conseil, savaient.

L'arrivée ne loupa pas. Adossée à la paroi de roches, en face du début du tunnel, à la sortie d'une des entrées de Demetrio, elle vit un homme assez grand, le plat assuré et chargé pour la chasse de gros gibier se pointer. A l'écard de ses hommes, qui attendaient les dernières directives, ce n'était ici qu'une maigre patrouille, les autres étant dans d'autres secteurs. Elle haussa un sourcil, en le voyant faire et parler, Strunker dressa les oreilles, même réaction. Qui était cet étrange brailleur. La bête se méfiait de tout être s'approchant possiblement de sa maitresse. Mais c'est qu'il les engueulait! Elle eut un sourire en coin, et secoua la tête doucement en se massant le nez. Bon. Il devait croire que le chef était l'un d'eux, et ... c'était pas gagner. Il semblait avoir un foutu caractère de cochon. Yuuka se laissa glisser le long du rocher et atterrit en douceur sur le sol alors que ses hommes regardaient l'homme approcher, un peu perplexe, n'osant le couper dans ses paroles pour lui dire qu'il se plantait de cible.

La jeune femme s'approcha en silence en fourbe dans son dos et plissa les yeux, et toucha les reins du bout de son yari pointu en disant à mi voix:

- C'est mal d'agresser mes hommes. Ne dit-on pas bonjour d'habitude?
Elle s'approcha de son oreille par derrière et dit sur la pointe des pieds.
- Votre petite escapade nocturne devra attendre. C'est avec moi que vous partez. Vous m'engueulerez sur le chemin, ce sera utile si on veut servir d'appât.

Elle se détacha d'un coup et s'éloigna comme une fleur un peu déjantée, mais on ne refait pas Yuuka, et ses manières étranges. Marchant en marche arrière vers le tunnel, elle lança un coup d’œil à ses hommes, tout raides de surprise à son comportement. Mais il fallait dire qu'elle leur faisait toujours des coups comme ça aussi, quitte à leur faire faire une crise cardiaque. Tombé d'un arbre, se jeter dans le vide pour se rattraper à n'importe quoi, hurler comme une dingue devant un monstre ou courir comme appât, rien n'était prévisible avec elle. Était-elle folle? Juste originale, et c'était là tout son atout aussi parce qu'elle faisait souvent tourner les ennemis ou bêtes furieuses en bourrique. Pas qu'eux d'ailleurs.

- Deux à l'entrée et les quatre autres en patrouille. Le circuit 8, et renvoyez un éclaireur vers l'entrée pour vous assurer qu'elle n'est pas dans les coins. Au pas de courses, et j'veux pas d'excuses, prenez ce qu'il faut avec vous cette fois-ci! Rapport au crépuscule.

Directe et autoritaire, ils se mirent au garde à vous une courte seconde et filèrent se préparer, alors que deux autres se postaient en garde. Puis son regard se détourna sur le chef chasseur et elle s'arrêta de marcher, dos au noir, alors que Strunker fixait l'obscurité, babine retroussée.  

- Pour répondre à votre question, si j'ai demandé votre aide, c'est que mes hommes ne sont pas qualifiés pour l'extermination de nids d'Ophars... J'en ai vu quand j'étais en expédition, mais ils étaient au limite de l'Atlas. Ce sont des espèces de parasites qui se régissent en ruche souterraine... Des petits soldats dégueulasses et une grosse reine qui ressemblent à... une énorme larve avec des dents de carnassier... Normalement ils n'ont rien à faire ici, sauf qu'on a constaté un vol de bétail récupérant et... ça ...

Elle montra en coin la bave trop épaisse pour s'infiltrer dans le sol...

- J'ai une formation que beaucoup d'entre eux n'ont pas... Je ne veux pas qu'ils meurent, ils n'iront pas avec nous. Donc à vous de choisir, je ne vous oblige pas à me suivre, mais j'irai de tout façon. Peut-être même qu'on ne reviendra pas... Je ne sais pas du tout s'il y a un seul nid ou plusieurs...

Elle marqua un instant d'hésitation. Elle était très sérieuse, non pas pour lui manquer de respect mais plus parce qu'elle même ne savait pas si elle reviendrait en un seul morceau. Sa main attrapa quatre torches, elle en alluma une, fixant les trois autres à sa ceinture. Puis elle le regarda, silencieuse. C'était de toute façon une mission sportive et éprouvante, à n'en point douter. Elle aimait ça, elle vibrait intérieurement, mais ne le montrerait pas, parce que d'une autre coté, elle se devait de composer avec lui, un parfait inconnu. Et c'était un truc qu'elle avait du mal à faire.