Jensen avait une douleur au dos d'avoir passé quelques heures à travailler sur ses cartes. C'était sa manière de s'occuper quand Heze n'était pas là : le travail. Mais le travail devenait parfois trop dur : ses yeux piquaient d'être restés trop longtemps ouvert, son dos le faisait souffrir d'un point noué en haut près de l'omoplate droite, et en bas sous les reins, et ses doigts le tiraient. Parfois il se demandait pourquoi il aimait tellement dessiner ces bouts de monde si à la fin il se sentait littéralement épuisé, courbaturé comme s'il avait gravit des montagnes. Mais le pourquoi n'avait pas vraiment d'importance, ce qui comptait c'était qu'il voulait le faire de la même manière qu'il avait voulu lâcher son crayon et se lever pour sortir.

Il était maintenant dehors, les mains enfoncées dans ses poches, à marcher au milieu du camp qui se préparait pour la nuit. Il était encore tôt, mais l'agitation était différente le soir, plus calme, plus intime. Il aimait cette sensation particulière qui naissait au moment où la lumière s'abaissait.
Il se dirigea vers le bout du camp, au plus près du lac. Dans sa marche silencieuse, il observa ceux qu'il croisait, leur souriait parce que c'était naturel, il était bien après tout, il ne pouvait donc qu'étirer ses lèvres et hocher la tête.

Et là, soudain, son regard croisa une immense silhouette. Jensen s'arrêta net et se tourna vers elle. Son sourire disparut en même temps que son visage pâlit. Il s'approcha pourtant, le pas sûr – après tout ce n'était pas la première fois qu'il le voyait rentrer dans cet état. Mais que ce soit la première fois ou non, Jensen sentit quand même son estomac se retourner, la bile remonter, ses mains devenir moites. Une peur primaire naissait dans ses entrailles à la vue de tant de rouge et faisait réagir son corps. Mais Jensen avançait, parce qu'il était homme plus qu'animal, parce qu'ils étaient vivants – encore.

À quelques mètre de lui, Jensen inspira ; il avala l'odeur du sang en même temps que sa salive, et il parla. Ni doucement, ni violemment. Il parla comme s'il n'y avait pas un homme couvert de sang devant lui, comme s'il n'y avait qu'Evangelisto.

-Ça va ?

En soi il avait raison, il n'y avait que lui – qu'eux deux.
Et peut-être un mort.
Ou peut-être pas ? Quel étouffant mystère.