Planet Earth is about to be recycled ▿ Tom écrit le Jeu 9 Juil - 1:40
feat Tom
Elle planta le verre d'un geste un peu trop brusque pour être poli. Mais Maluhsy n'était pas vraiment poli, elle était simplement honnête. Les intentions du chasseur étaient limpides, et il se reflétait dans ses yeux narquois aucune lumière, comme si le soleil réservait sa lumière aux gens faits d'amour. Pour Grise, il existait plus d'une nuance, mais ce soir elle était ombrageuse et maussade. Elle ne toucha pas à la monnaie du client présomptueux et se retourna avec dégoût. Les instincts humains ne lui étaient pas inconnus, et pourtant la vulgarité avec laquelle certains jouaient avec cette sensualité la rendait mal à l'aise. Suffisamment jolie, elle ne manquait pas de ces gens qui cherchaient la chaleur, mais leurs flatteries la laissaient toujours de glace. De toute façon, bien d'autres de ses collègues exultaient de cet érotisme grossier et les âmes noyées s'accrochaient à elles comme des bouées de sauvetage. Elle préférait diriger son regard curieux sur les créatures réellement seules, celle qui faisait un vacarme avec leur silence. Elle-même solitaire auto-proclamée, elle essayait pour la plupart vainement de voir couler un sourire sur leurs visages tristes, mais deux êtres sinistrés ne pouvaient s'appuyer dans un autre abyme. Ce soir cependant, Maluh n'était ni d'humeur à répondre aux grossièretés, ni de tendre l’oreille aux lamentations.
Un de ses plus gros clients, un homme âgé d'une cinquantaine d'années, posé et dangereux était supposé venir lui acheter une énorme commande de yagé pour une branche mafieuse de Caelestis. Elle se souvenait de son regard gris et vitreux lors de sa première rencontre, d'ailleurs terrifiante. Derrière son parfum de vents marins et son habit taillé sur mesure, un calme féroce et une assurance pesante l'avait immédiatement mise mal à l'aise. La jeune femme dealait avec bien des gens, mais peu lui semblait aussi impressionnant que sir Charles. Il avait été d'une politesse exemplaire, courtois, mais elle ne pouvait s'empêchait d'avoir été abattue par son aura funeste. Elle avait conclu un accord à perte avec lui, mais aucune protestation n'avait franchi ses lèvres. Il était absolument impossible de croire à la bonne foi de cet homme. Mais le voilà qui était en retard de plus de cinq heures. Sa nervosité augmentait à chaque claquement de porte, comme si chaque vent amenait de mauvaises nouvelles. Pourtant personne ne s'était présenté et ne sentait son cœur sur le point d'exploser.
Presque tous les visages lui étaient familiers, mis à part quelques nomades qui cuvait ci et là. Il se faisait tard et les gens saluaient la botaniste d'un vague signe de main. Indifférente, elle continuait de servir les pauvres âmes ivres, prenant elle aussi quelques coups avec les plus hardis. L'établissement avait une réputation libertine et la plupart des serveuses qui la côtoyaient étaient éméchées, insouciantes des mains qui caressaient leurs décolletés. Maluhsy sentait aussi les effets brumeux de l'alcool, mais il ne renforçait que son humeur revêche. Elle avait mis énormément de temps et d'argent sur ses plantes spéciales qui requéraient des soins délicats et constants. De se faire ainsi négliger la rendait furieuse. On l'avait utilisée, encore une fois. Mais en buvant son troisième coup, elle ne put constater qu'avec amertume que tout le monde utilisait tout le monde. L'hypocrisie était un défaut qu'elle maudissait, mais ironiquement, tous ces soûlons, toutes ces barmaids, tous ces clients, ils ne respiraient que par l'hypocrisie. Elle ne pouvait imaginer un monde où l’honnêteté prévalait et elle ria à voix haute quand elle ne vit que du chaos dans cette utopie. « Qu'est-ce que t'as à rire toi petite mignonne? ». Lui demanda un pauvre vieillard à moitié couché sur le bar. « Rien rien Hershel, la vie est juste misérable qu'est-ce que t'en dis? ». Il leva sa chope sans rien dire et écrasa à nouveau sa tête sur la table, comme si de rien n'était. Grise pensa un instant méchant à lui verser le reste de sa bière amère et chaude sur la tête, mais il était assez malheureux comme ça. L'hypocrisie, c'était aussi de faire semblant que tout allait bien.
Re: Planet Earth is about to be recycled ▿ Tom écrit le Mar 14 Juil - 6:41
Ses sorties étaient hasardeuses, mais n’étaient pourtant pas sans but. Si c’était le cas, il n’obtiendrait pas la permission de sortir du tout. Car il était précieux, à sa façon. Il s’était incrusté dans le patrimoine de la cité sous-marine malgré lui, par cette idée humble qui l’avait mené beaucoup plus loin qu’il ne l’aurait cru. Maintenant, il concurrençait les plus belles enseignes de Caelestis. Cela dit, Okeanos se voulait être un gage de perfection et ne pas tendre vers cet absolu lui vaudrait sans doute la bénédiction de ses pairs. Alors, il s’engageait malgré lui dans ces expéditions, ces recherches sur le terrain afin de rechercher de nouveaux grains, de nouveaux ingrédients et de demeurer instigateur de nouvelles tendances. La gastronomie était un milieu périlleux. Si les conservateurs subsistaient par leur clientèle dévouée, il ne fallait pas perdre que de vue que jadis, ils étaient ces mêmes innovateurs, prêt à tout pour créer de nouvelles sensations et émouvoir les masses.
Cela dit, Tom n’était pas un aventurier. Casanier au possible, il regrettait trop vite l’inconfort de sa modeste résidence d’Okeanos, beaucoup trop ancré dans ses vieilles habitudes. Il s’agissait donc là d’un mal nécessaire, qui trouvait ses racines dans la poursuite d’un rêve qui, même s’il n’osait pas l’admettre, n’en était plus vraiment un. Il adorait son restaurant, n’allez pas croire le contraire. Le problème est qu’il s’y est tellement investi qu’il a commencé à se perdre de vue alors qu’il souhaitait seulement l’inverse. Les deux premières années avaient été délicieuses au possible. Enfin, il quittait la misère pour goûter aux joies de la classe supérieure. Sa réputation était encore à faire, mais il sentait déjà un avenir des plus prometteurs. Les deux années suivantes se sont déroulées sous le signe de la routine. Il ne découvrait plus vraiment la nouveauté et n’avait plus vraiment cette impression d’être comblé. Lui qui, à la base, n’aspirait qu’au bonheur. L’année dernière, les choses sont devenues plus difficiles. Suite au succès monstre de l’endroit, les attentes étaient d’autant plus grandes et les exigences presque étouffantes. Il se remettait sans cesse en question et ne trouvait pas les réponses à ses interrogations. Qu’est-ce qu’il cherchait à la base? Un but à sa vie, des ambitions, d’être heureux. D’être comme tout le monde, quoi.
Non, Tom n’était pas un aventurier. L’inconnu le dérangeait et il se sentait en sécurité uniquement lorsqu’il était en contrôle de la situation. C'est-à-dire bien rarement. Il n’aimait pas spécialement Earthea non plus. Tout était si dense, si compact. Moins qu’à Okeanos, mais tellement plus en même temps. Car à Okeanos, tout avait une utilité. Il y était à l’étroit, mais il savait que ce n’était pas pour rien. Ici, il n’y avait que de vastes étendus de rien dense. Du feuillage comme il n’en voyait jamais, des bêtes et des gens étranges, aux coutumes déroutantes. Tout semblait si dangereux. La journée avait été plutôt grise et maussade. Malgré les prédictions cependant, il n’était pas tombé de pluie et c’était bien à son plus grand contentement. Il parcourait la région avec un guide qui lui avait été conféré et qui lui faisait un petit cours de biologie par le fait même. Il avait beaucoup appris, notamment sur les champignons et les plantes comestibles. Apparemment, la nuit approchait et ils devaient donc trouver logis pour la nuit. Il l’avait remarqué, lui aussi. Tout semblait plus sombre, tout à coup. Ce n’était pas comme ça à Okeanos. Il n’y avait ni clarté ni noirceur. Tout était éclairé par des lumières. Ils trouvèrent donc une auberge pour la nuit.
Vous voyez, Tom n’était pas aventurier, car il n’était pas à l’aise avec les gens. Il était doux et docile, mais uniquement dans l’optique de servir les clients et de les faire sentir en contrôle. Il courbait donc maladroitement l’échine, ne sachant pas faire le pas entre l’abus et la convivialité. Ces gens d’ailleurs semblaient menaçants. Du moins, d’eux émanaient cette force de caractère, cette confiance en eux, comme façonnée au plus profond de la jungle d’Earthea. Il avança donc à pas feutré vers le bar où il chercha à attirer l’attention d’une serveuse. «Bonsoir.» dit-il, la voix basse. «J’aimerais avoir du thé, si possible. À manger, aussi.» Aucun menu pour lui venir en aide, il ferait donc avec ce qu’on lui donnerait. Le regard de la serveuse lui paraissait distant, froid. Étrangement, il pouvait s’y retrouver, dans ces prunelles éteintes. «C’était une belle journée aujourd’hui, non? Grise, mais chaude.» Il ne le pensait pas, mais le silence lui pesait.