Ses pas feutrés se confondaient au bruit ambiant, au cri des animaux amplifiés par cette voûte qui constituait le plafond du sous-terrain. Jadis homme de foule, il s’était reconverti malgré lui dans un rôle de pisteur, de celui qui voit au lieu d’être vus. Ses sens humains délaissés au profit de ses sens primaires, il se laissait guider par la nature, ne sachant quoi chercher, mais paré à toute éventualité. Éventualité qui se présenta à lui sous la forme d’une humaine se lavant directement à la source. Une race qu’il n’avait pas croisé depuis un moment, d’ailleurs. Si le scénario était enchanteur, ses pensées s’orientaient sur le danger qu’elle posait. Était-elle armée? Qu’en était-il de ses intentions? Ses vêtements éparpillés un peu plus loin au sec eurent tôt fait d’attirer son attention, plus que les merveilles que son corps avait à offrir.

D’un pas félin, il s’approcha, inspectant son attirail avant de juger qu’elle ne semblait pas bien dangereuse, mais que de toute façon elle devrait passer par-dessus lui pour atteindre ses affaires. Il était en contrôle. «Qui êtes-vous?» l’interrogea-t-il alors. Drôle de question, surtout que ce devrait être l’inverse. Il pouvait bien se le permettre après tout, lui qui était l’hôte de ces bois. En espérant que ses airs rustiques et sauvages ne l’effraient pas trop.

Il demeurait méfiant malgré la distance. Difficile de discerner les intentions d’une personne aussi évasive qu’elle. Pourtant, son attitude détachée démontrait une certaine confiance ou aisance pour ce genre de situation. Le genre qu’une personne qui n’avait rien à se reprocher exprimerait. Beowulf se détendit alors, regardant la blonde s’approcher du rebord de la source. Elle était énigmatique, jouait avec les mots et cherchait à vouloir préserver un certain mystère. Aguicheuse, elle parlait sans vraiment raconter quoi que ce soit. «J’ai perdu l’habitude des jeux d’esprit depuis longtemps. Je préfère m’en tenir au concret.»

Il cherchait à détailler la femme à quelques mètres de lui. La femme était d’une beauté certaine, sans doute la raison de sa confiance. Rien qu’il n’avait jamais vu à Caelestis, mais un paysage rare en ces temps néanmoins. Il la détaillait, ne se cachant pas pour chercher ses courbes floues sous l’eau. Le mouvement de l’eau l’empêchait de bien déterminer. Il releva le regard vers elle. «On ne m'appelle plus. On m’a déjà appelé Beowulf, cela dit.» Il s’accroupit pour diminuer la distance entre les deux. «As-tu un nom, femme? Tu ne devrais pas te promener seule. Les terrains semblent seulement hospitaliers pour les esprits simples.»

L’épreuve était plus dure qu’elle n’y passerait. L’homme faisait vœu de chasteté malgré lui et puisqu’il s’abandonnait à ses instincts, ses pulsions étaient d’autant plus fortes. Pour garder en laisse l’ancien chien de garde, la raison venait insérer le doute dans sa tête. Il était seul au monde. Seul dans son propre camp. Tout n’était qu’une raison de le piéger, de lui faire du mal. Il avait suffisamment souffert. Assez pour comprendre que se faire violence soi-même était plus facile à gérer que de souffrir par le biais d’un autre. Alors, il résidait dans cet entre-deux, souffrant en silence alors qu’elle se moquait de son nom. Pouvait-il vraiment affirmer le contraire? «Alors ne le prononce pas. Tu nous rendras service à nous deux». Un nom, une étiquette qui le rattachait malgré lui à son passé.

La femme se savait consciente de ses charmes. Peut-être même de la tourmente qui alimentait le renégat. Sa poitrine sur la rive provoqua une grimace agacée sur son visage. «Comme les filles de Caelestis…» La timidité en moins. L’épreuve en était une d’endurance. Une épreuve qui, si elle franchissait une certaine limite, risquait de mal se terminer pour elle. Il en profita pour retirer ses bottes et tremper ses pieds en attendant. L’épée n’était jamais bien loin non plus. « Fait ce que tu veux, mais ne comptes pas sur moi pour te sauver si tu te noies.»

Le contact de ses pieds dans l’eau était agréable, contrairement à elle. Pourtant, il n’arrivait pas à regarder ailleurs. Elle avait ce je-ne-sais-quoi captivant, cette sensation de croiser un extra-terrestre. Elle ne vivait pas dans le même monde que lui et ça avait l’effet d’une bouffée d’air fraîche. Sa peau pâle et laiteuse, un visage aux traits doux qui contrastait avec l’opulente poitrine. Puis, elle se savait belle et n’hésitait pas à le faire savoir. Même si les mots qui sortaient de sa bouche avaient don d’énerver. «N’y voit rien de personnel, mais j’ai pour habitude de faire prévaloir mes intérêts avant tout. Qu’est-ce qui me pousserait à aider quelqu’un dont je ne sais rien et qui semble ne pas se connaître elle-même.»

Tout chez cette femme le laissait perplexe. Était-elle si confiante ou bien était-elle un brin naïve de croire que rien ne pourrait lui arriver? Encore une pointe. Que cherchait-elle? «Je n’ai pas peur de l’eau. Par contre je me demande pourquoi tu n’es pas plus méfiante, surtout face à un inconnu.» La question se posait, quand même.

Le guerrier se faisait voyeur, son regard rivé sur la nageuse qui prenait ses aises malgré la situation dans laquelle elle se retrouvait. Il n’arrivait pas à cerner l’individu en question. Elle semblait provenir d’un autre monde ou encore d’être qu’une fabulation de son esprit. Pourtant, il ne rêvait pas. La sensation était trop vraie pour n’être qu’un mirage ou une hallucination. De la voir si déconnectée l’amenait à se questionner pourquoi lui n’était que l’inverse. Il se méfiait, craignait, mais il n’avait pas peur. Il redoutait juste l’inévitable. Le jour où il aura peur sera le jour où il rencontrera plus fort que lui. Ce jour-là sera sans doute son dernier, aussi.

La belle s’approche de la rive et lui continue de la regarder. C’était la fin de son voyeurisme totalement assumé, mais le clou du spectacle avait eu don de le rassasier. Ou du moins, prétendre qu’il l’était. S’il arrivait à se convaincre. Un dernier regard sur son fessier, sa peau d’albâtre, une œuvre qui n’était pourtant pas dépourvue de défaut de conception. À moins qu’on l’ait vandalisé par le passé. Elle pose une question et il grimace, ennuyé. «Je me méfie de ceux qui me veulent du mal. Est-ce que tu me veux du mal?» Beaucoup lui voulaient du mal, aussi. «Ton corps invite les pensées obscènes. Ne crains-tu donc pas ces êtres qui verraient là une proie facile? Es-tu si insensible à ton propre bien-être? » Encore là, c’était une preuve qu’ils étaient très différents. Lequel était à blâmer?

L’impudence qu’elle faisait preuve l’énervait. Elle lui faisait penser à une enfant à qui on n’aurait pas appris à interagir convenablement. Une enfant qui se promenait seule, sans souci du lendemain. Il fallait avouer qu’il n’avait plus trop l’usage des conventions lui-même, mais à cet instant, il se serait passer de son rire moqueur, bien que cristallin. Il aurait aimer qu’on ne l’arrose pas, non plus. Il grogna lorsqu’elle l’aspergea de cette eau froide, protégeant son visage de son bras. Elle avait un point, néanmoins. Elle ne pouvait pas rien faire contre lui, surtout pas avec un corps si frêle, si fragile. À côté de lui, elle avait le gabarit d’un enfant en plus de l’attitude. C’était d’autant plus détestable.

Il n’avait pas vraiment porté attention à son odeur, mais se contenta d’un «Tch.» sec à son attention lorsqu’elle mentionna le manque d’hygiène. Elle se moquait de sa voix désormais et il paraissait d’autant plus énervé par son attitude. Il retira ses vêtements un à un avant de plonger dans l’eau à son tour. S’éloigner d’elle n’était pas forcément une mauvaise chose non plus. Il plongea, profitant de la fraîcheur de l’eau pour faire disparaître l’odeur de la sueur, au moins. Il remonta à la surface, face à elle, délogeant les cheveux de son visage. «Tu es belle. Mais tu es pâle, tu as l’air fragile. On dirait que tu vas mourir… ou que tu vas disparaître comme un nuage de fumée. Es-tu seulement réelle?»

Il s’approcha d’elle, empoigna son bras et la tira à nouveau dans l’eau.

Les remarques sur son odeur l’agaçaient, autant que pouvaient le faire des enfants se croyant tout permis. Néanmoins, il ne les condamnait pas. Les rencontres étaient suffisamment hasardeuses pour qu’il puisse s’offrir le luxe de choisir ceux qu’il croisait. La rencontre avec la belle inconnue n’était qu’un de ces hasards, sinon une manigance des Dieux? Inconnue au parler caustique, qui lance des mots sans prendre conscience de leur portée. Surtout qu’elle n’était pas dans la plus avantageuse des positions. L’attirer dans l’eau n’était que la conséquence logique, de son point de vue. Comme il l’avait prédit, elle ne démordait pas de son attitude, même qu’elle trouvait bon de mentionner que son bout de tissu était trempé. «Il séchera. Tu t’en fais pour rien.»

Il avait raison. Ce n’était qu’un prétexte, après tout. Cela dit, aussitôt l’eut-elle déposée sur la rive qu’elle revenait à la charge, comme si elle avait tout oublié. Il y avait quelque chose de malin dans son regard alors qu’elle venait se rapprocher de lui à une distance indécente, indifférente à sa propre nudité. L’homme ne savait trop que faire. Enfin si, il en avait une bonne idée, elle arriva à le prendre par surprise avant qu’il ne réagisse, le submergeant sous l’eau. Malgré la faiblesse apparente de ces bras, pousser un homme de sa carrure n’était pas chose simple. Sous le choc, il avala de l’eau par la bouche et le nez, rendant le besoin d’accès à l’air libre d’autant plus nécessaire. D’un geste sec, il remonte, s’étouffant de longues secondes, une douleur vive lui piquant le nez après avoir inhalé de l’eau. Il grogne, mécontent et ferme la marche sur sa compagne d’infortune, lui empoignant les bras, collant son torse au sien. Il avait un faciès dur à la base, c’était d’autant plus vrai lorsqu’on le poussait à bout. Il avait l’habitude, généralement, avec les cadets indisciplinés. «Tu joues à un jeu dangereux, là. Je veux bien être conciliant, mais tu abuses un peu trop.» Sa respiration est encore lourde et profonde. Collé ainsi contre elle, leurs différences sont d’autant plus visibles. Sa carrure forte, ses épaules larges comparées à un corps frêle. Sa peau bronzée et scarifiée versus sa peau laiteuse et douce. «Rends-toi donc utile et aide-moi à me laver, si tu trouves que je suis aussi sale que tu sembles le prétendre.» Dur d’être moins sale qu’elle, à vrai dire.

D’une certaine façon, il n’était pas à l’aise dans cette position. Non pas par manque de confiance, loin de là, mais par manque de contrôle. Le fait que partout soit un territoire ennemi, le fait que cette personne soit tout l’opposé de ce qu’il connaissait. Elle était surtout là, sa réticence. Fut un temps où l’inconnu animait ses pensées, maintenant il apparaissait surtout comme quelque chose à éviter, si possible. Pourtant il n’était qu’un homme et même si sa tête rationalisait, son corps ne pouvait rester indifférent. Ayant déjà connu la compagnie d’une –ou des- dame(s) par le passé, il savait à quoi s’attendre. Du moins, il savait quelle tournure il voulait que la situation prenne. Là était bien son erreur.

Il était en plein conflit intérieur et ce chamboulement l’embêtait, notamment parce qu’il abhorrait le fait de ne pas être maître de ses actions. De ne pas triompher sur ses pulsions. Alors, de son expression embêtée et presque fâchée, il laissait ses mains libres. Sans vraiment en être conscient, les siennes se glissèrent sous l’eau, puis le long de ses cuisses avant de s’arrêter sur ses fesses pour venir lui fournir un appui afin qu’ils restent à peu près à la même hauteur. Parce qu’elle était plus petite que lui. La poigne était assumée, peut-être dérangeante, mais pas au point d’être douloureux. La douceur n’était plus vraiment un concept qu’il prêchait, l’habitude de telles attentions appartenant maintenant au passé. Il ne savait pas trop quoi dire, alors il ne parlait pas. Peut-être qu’il grogna un peu, mais c’était surtout destiné à lui-même. Pour son indécision. Ses intentions pouvaient être déchiffrées, son regard quittant le sien pour parcourir son corps à moitié submergé, son torse décollé du sien exprès pour l’occasion.

La vérité était qu’il ne savait pas vraiment ce qu’il voulait et qu’une option comme l’autre entraînerait son lot de conséquences. Dans tous les cas, de manière objective, il n’en sortait pas tout à fait gagnant.