La voilà enfin de retour à Demetrio. Très honnêtement, elle n'a envie que d'une chose, c'est de fusionner avec un lit, une paillasse, l'herbe même, elle s'en moque, mais elle veut dormir. Plus de trois jours de patrouille, dans des dédales pénibles, où il ne faut pas dépasser un certain gabarit pour passer, et rien à signaler. Ah, si , quelques bêtes solitaire, par ci, par là, mais en soit rien d'extraordinaires, c'était plutôt calme. Trop calme, et la vie de Yuuka n'était jamais calme. Quelque chose se préparait. Parano? Absolument pas! Ce monde était impitoyable, elle était réaliste c'est tout! Bon ok, peut-être un peu. Appelons ça, de la paranoïa justifiée. Chacun souffre de quelque chose. Yuuka c'était pas un seul mal qui la torturait en silence, mais elle tenait et puis au fond, ça la rendait plus forte, elle préférait voir ça ainsi. La grande question était alors, qu'est-ce qui l'empêcherait de dormir alors? Très simple, elle avait entendu ses hommes discutaient entre eux. L'un d'entre eux avait une petite sœur botaniste que l'autre convoitait. Forcément, ça aurait du être inévitable, vu que ces deux là se connaissaient depuis l'enfance. Et sans comprendre pourquoi, le nom de Drogrien était arrivé sur le tas. Drogrien, comme le Drogrien de son enfance? Alors bien sûr, elle avait posé des questions, et ses soupçons se faisaient plus forts.

Trop de coïncidences. Qui était cet homme? Son meilleur ami d'enfance. Vous savez, le petit gamin qu'elle allait rejoindre quand elle faisait le mur, à partir de ses 7 ans. Celui avec qui elle partait à l'aventure, et explorait les merveilles ou avec qui elle avait couru pour échapper au danger. On a tous un môme avec qui on fait des projets d'enfants. Plus tard je serai ci, je serai ça, et toi tu seras ça. Nous l'avons tous faits. Mais certains d'entre nous vivent aussi des déchirements. Un jour, Drogrien est parti... Sans prévenir. On lui avait dit qu'il y avait eu un drame, mais elle ne savait pas quoi. On lui avait aussi dit de ne pas chercher à comprendre, qu'il ne voulait plus la voir. On, c'était ceux de sa famille. Elle n'avait jamais eu le vrai mot de la fin... Pourquoi était-il parti? Il était son seul point de repère à l'époque. Certes c'était juste un gosse comme elle, mais il l'acceptait comme elle l'était, et à l'époque c'était beaucoup, elle qui était tellement oppressée. Il est synonyme de liberté. Et quand il est parti... Yuuka avait perdu cette liberté. Elle avait mal... le sentiment d'abandon, et de tristesse. Elle l'avait haï... Elle avait pleuré et puis elle avait accepté, se disant que c'était sa faute.

Elle passa par chez les Ys sans rien dire, se lava rapidement, enfila un short violine, ses bottes noires, une tunique longue sans manches violet clair, se démêla les cheveux pour éviter de ressembler à un buisson, attrapa sa cape noire et violine brodée de fleur de la paix dessus, avant de sortir, passant devant sa soeur qui se retourna étonnée:
- Oh tu as un rendez-vous? C'est rare de te voir sans ta tenue de sentinelle.
Un léger sourire en coin de la belle blondinette et Yuuka se racla la gorge , sérieuse:
- Ne te fais pas d'idées Lua, je vais juste acheter des plantes pour renflouer mon stock médical du QG.
- Oh je vois. Un botaniste.

Son sourire s'agrandit et Yuuka secoua la tête, avant de sortir. Rah cette sœur. Toujours à vouloir la caser. Si c'était bien lui, il était normal qu'elle soit correctement présentée. En fait, elle n'savait même pas pourquoi elle s'était changé. La fatigue lui pesait en plus... Elle se dirigea calmement vers le marché médicinal, et se mit à le chercher, faisant ses emplettes aussi, elle avait vraiment besoin de ces substances, et faisant ses mélanges elle-même, notamment pour les baumes de cicatrisations et de désinfection. Elle passait son temps à se blesser. Ses yeux allaient partout, cherchant encore et encore. Elle demanda, on la dirigea et plus elle sentait se rapprocher, plus son ventre se serrait. Elle qui avait un sang froid à toute épreuve... Elle détestait ça, mais elle devait en avoir le cœur net.

Elle demanda une dernière fois et une vieille femme lui dit qu'il était au Jardin d'Eve au sujet d'une plante rare à replanter, un truc du genre. Il était vraiment devenu botaniste? Il avait pris des chemins opposés si c'était le cas, et même inversé. Hésitante, elle passa sous une énorme plante grimpante et croisa le regard de certains promeneurs, pour finir par s'arrêter sur une silhouette dans un bosquet de plantes exotiques. Il haussa un sourcil, sa main sur sa petite besace. Nom de... Par Earthea, il était... grand. Mais... mais il était tout petit dans son souvenir! Forcément andouille, il avait dix ans, ou quelque chose du genre. Elle avala sa salive, fixe, un peu interdite. Après de longues secondes d'hésitation, elle s'approcha par le coté, et l'appela, dans le doute.

- Euh... Excusez moi, vous êtes bien... Drogrien Uder....? Je ... le cherche.
Elle le voyait à peine, encore un peu derrière à quelques mètres. Mais rien que la taille de son dos, comparé à elle, la laissait un peu perplexe. Mince alors...

Son cerveau beugua quand elle vit la masse se relever, face à elle. Ok, euh... comment dire. Il devait faire un bien tiers de poids en plus. Bigre. Elle le lorgna de haut en bas un peu plus. Il était bâti solidement, des appuis plantés, des épaules larges... qu'est-ce que ce mec faisait dans la botanique... Il aurait été tellement plus efficace dans les béliers de ses hommes, à défoncer ce qui passait. Dommage que son coeur soit visiblement assez énorme pour croire que même les plantes avaient de l'amour à donner. Bon ok, Yuuka estimait devoir le respect à toute la nature, mais l'ovation faite pour une plante rare....? Elle avait du louper un épisode. Elle faisait des exploits tous les jours et elle n'avait pas le cortège de fans à son retour. Bon, ok, ses exploits se résumaient principalement à tuer. Ok, elle était une femme et ... vu la fatigue de ses hommes en ce moment, c'était pas glorieux donc le seul truc qu'elle pouvait espérer, c'était "Ouaaaais moi!" d'elle-même.

Elle le lorgna un peu en penchant la tête et son regard se figea sur une pierre bleue qu'il avait au coup parmi d'autres trucs. Elle cligna des yeux et eut un pas de recul, le regard soudainement dur sans le vouloir lui lâchant un:

- Tu es bien Uder oui... Cette pierre... j'ai la même...

Elle piocha un collier dans sur son propre cou et le montra dans ses doigts fins qui n'avait pas été épargnés par son travail laborieux. Elle avala sa salive, perplexe, perturbée, comme si elle avait pris un coup sur la tête, puis regarda sur le coté, cette ancienne blessure se rouvrant un peu mine de rien.

- Tu te souviens même pas de moi je suis sûre... Vu comment t'es parti comme un voleur y'a une quinzaine d'années.... T'aurais pu au moins m'envoyer un truc je sais pas, histoire que je te pense pas mort... Vous êtes bien tous les mêmes ...

Elle soupira et s'adossa à un pilier de bois qui soutenait une grosse construction pour plantes grimpantes, les mains dans le dos, la cape rabattue en arrière de ses épaules, le regard bas. Elle ne s'attendait pas à avoir cette réaction. C'était son plus gros problème, elle ne se voyait même pas venir elle-même...

Bingo, il ne se souvenait plus. Yuuka leva les yeux au sommet de la voute, dont on ne voyait pas le fond, juste une ombre lointain, comme un espace semblable au ciel, mais en plus foncé, éclairé de lumière plus ou moins naturelle. Elle ferma un instant les paupières, la gorge serrée et secoua doucement la tête, l'arrière de son crâne touchant doucement le tronc derrière elle.

- Je m'appelle Yuuka... Ys. Je suis le chef des sentinelles mais autrefois... on était amis. Et un jour, tu es parti sans un mot, pas une lettre, rien du tout! Et moi, j'ai coulé alors que tu savais que ma famille était un fléau, et là tu joues les amnésiques?

Elle défait la pierre bleue et lui tend pour lui montrer.

- On a la même, on les a trouvé dans une mine, un jour où on s'est fait punir pour avoir été dans un endroit dangereux où les enfants sont interdits. On a pris cher d'ailleurs ce jour là, mais c'est pas comme si j'avais pas l'habitude. Je peux savoir ce qui t'ait arrivé pour que tu me fasses un coup pareil?

Même si ça remontait à loin, Yuuka était surprise de voir qu'en réalité... elle était toujours rancunière. Elle avait eu tellement mal, et cette fuite avait aussi précipité sa peur des autres, et aussi de l'attachement. Certains évènements marquent à vie et on ne peut rien y faire. Oublier, c'est dans les contes de fée ça. On ne peut jamais oublier. On ne peut qu'accepter l'idée que ce soit passé et que ça vous a rendu plus fort, mais sur coup, putain ce que ça fait mal...