Oui, elle avait tenté. C'était bien ça le problème.
Tenté. Au fil d'années passées à essayer de s'en sortir, gagnant sa vie au dépend des autres si bien qu'elle était devenue experte dans le domaine du pickpocket. Il faut dire que sa vie tenait à ce peu de compétences et elle ne rencontrait que peu de gens capables de remarquer ses tours de passe-passe - elle s'était tant améliorée que le cercle des concernés n'avait cesse de diminuer, situation qui l'avait dotée d'une arrogance stupide. Elle perdait le nord, elle se précipitait et elle faisait des erreurs, et quand bien même elle n'avait pu y échapper, Maxine savait que ce jour arriverait. Elle s'était attaquée à plus fort, à trop fort. ...Non, ce n'était pas tout à fait vrai. Elle s'était juste attaquée à la mauvaise personne.

Malgré un look très féminin et la très faible probabilité de son existence, elle était tombée sur une combattante - très probablement membre de la garde royale, à en juger par son apparence. Ce n'est pas étonnant qu'elle ait senti son geste et eut le réflexe presque immédiat de capturer son poignet, fait qui, soit dit en passant, commençait à l'agacer. Impatiente. Elle aurait pu s'attaquer à un passant lambda mais non, il avait fallu que ce soit une garde. Quelle intelligence, Maxine. Sans compter qu'elle avait bien trop de poigne et toute la finesse et la dextérité de la costumière ne l'aiderait pas à se sortir de cette situation - de ce fait, elle n'avait plus qu'une arme en réserve.

Si la force était inutile et que ses talents physiques ne marchaient pas, c'est sa ruse qui la tirerait de ce faux pas.

"J'ai tenté." dit-elle d'une voix ferme. "Et toi, tu as l'air d'une riche personne à en juger par ton apparence. J'ai donc bien fait."

Elle se débattit, le regard froid, décidée à ne pas se laisser faire. Elle ne voulait rien entendre venant de cette fille, elle n'avait aucune leçon à recevoir et quand bien même elle lui en aurait donné, Maxine n'aurait rien retenu. Elle n'avait pas honte et elle aurait recommencé mille fois si on lui redonnait une chance de revivre cette dernière heure - que pouvait-elle y faire ? La différence entre classes sociales était écrasante et dans une société où elle refusait de vivre selon les religions, elle n'avait pas d'autre choix que de s'adapter. C'était perdre sa liberté d'esprit ou sa liberté financière et, devant ce dilemme, elle était certaine d'avoir fait le bon choix. Peu importe si ça la menait à de telles extrémités, Maxine avait déjà assez donné. Bien assez perdu.

C'était la carte qu'elle avait décidé de jouer : la sincérité. Une sincérité si réelle, si enfouie qu'elle ne semblait pas vraie, une sincérité qu'elle utiliserait à bon escient.

"Je ne regrette pas. Et si tu veux savoir si je compte recommencer, tu n'as qu'à tourner le dos. L'essentiel ayant été dit, tu peux me lâcher."

Elle rajusta les ailes présentes dans ses cheveux et fronça les sourcils, tentant de se montrer aussi sérieuse qu'elle pouvait l'être. Non, pas moyen que Maxine soit sincère, c'était encore un masque, encore un mensonge. Elle n'arrêterait jamais, pas avant d'avoir une réponse concrète.

once is a mistake (r)

Elle reçut les paroles avec un mélange de colère et de résolution, parfaitement consciente de la vérité cruelle qui entourait les dires de la combattante. Maxine était intelligente, là n'était pas la question, car c'était sa situation qui l'avait clouée dans ce genre d'obligations stupides. Voler n'importe qui, voler sans distinction. Voler chaque jour. Et entre voler un diamant ou se contenter de multiples cailloux - Maxine avait vite fait son choix, bien qu'il déplaise à beaucoup. Elle n'était pas patiente et elle était le genre de fille à rêver de grandeur en passant par le plus long chemin, elle voulait tout obtenir maintenant à force de volonté - et non pas en travaillant d'arrache-pied pour se voir noyée dans les bas-fonds d'un système qu'elle rejetait plus que toute autre chose.

Ce système qui lui avait coûté une vie ; un amour - ce système qui avait failli lui coûter Jasmin. Elle était folle de rage à la simple idée de penser qu'on pouvait lui recommander le droit chemin, et cette fille aurait pu avoir la plus terrible des armes en main, ça n'aurait rien changé. La fierté et la colère effaçaient son courage, tant et si bien qu'elle en oubliait le reste. Le dégoût de cette réalité s'intensifiait à chaque mot, la vision d'une garde aveuglée par une justice qu'elle ne pourrait jamais rendre. Une justice idiote ; c'était ainsi que Maxine voyait les choses. Elle connaissait les risques mais elle n'avait pas d'autre solution sinon celle de les prendre - piégée dans ce monde pour l'absence de quelques pièces scintillantes. Elle n'arrivait pas à croire que certains pouvaient se lotir dans de belles conditions quand d'autres traînaient au sein d'une misère à laquelle ils étaient incapables d'échapper.

Elle ne comprenait pas comment un monde pouvait encourager une injustice aussi flagrante, et elle compatissait, elle qui avait quitté son confort pour une liberté d'esprit. Pour ça, elle avait du courage. Plus que beaucoup ; une preuve d'humanité - et les menaces d'une soldat ne faisaient pas trembler la fille qui avait déjà laissé tomber sa vie une fois.

"Et alors ?" marmonna-t-elle avec mépris. "Je n'ai pas le choix."

Elle mordit sa lèvre, essayant tant bien que mal de contenir son émotion. Calme-toi Maxine. Laisse pas ce mal t'atteindre. T'as déjà vaincu la facilité de ce monde cruel, ce n'est pas pour le laisser t'abattre. T'as rejeté le rêve de beaucoup, t'opposant à la vision égoïste, ce n'est pas pour regretter ton choix. Elle inspira longuement, souffla par la bouche en s'essuyant une larme qui perlait au coin de l'un de ses yeux.

Elle n'allait pas se laisser bouffer, elle se l'était promis. Elle allait avancer encore et encore, avancer jusqu'à sentir ses jambes céder sous le poids d'une vie trop dure à supporter - elle continuerait ainsi ; figée au sein d'un monde trop fort pour qu'elle puisse en effacer la source, continuant à vivre, consciente, pour une unique personne. Et cette simple pensée lui redonna le goût d'une réponse.

"Vous n'êtes pas la personne la plus redoutable que j'ai tenté de voler." souffla-t-elle entre deux respirations, relevant les yeux qui traînait sur son propre costume pour défier ceux de la guerrière. Maxine avait pu faillir une seconde, mais elle retrouvait cette confiance forcée que son interlocutrice prenait pour de l'arrogance. Une obligation sévère, une vie de misère. C'était le quotidien qui la terrifiait plus que toute chose, un mode de vie devenu une obligation et pour lequel, injustement, on la condamnait.

"Je n'ai pas les atouts d'une guerrière. Personne ne veut engager quelqu'un comme moi. Puisqu'il me faut de l'argent, je suis forcée de le prendre quelque part."

Elle croisa les bras à son tour, son visage s'assombrissant. Elle n'était pas souvent sérieuse Maxine, respirant la joie et les sourires, respirant les mensonges et les désirs. Elle mentait sans cesse et la colère était pour elle ce qui se rapprochait le plus de la vérité. Ses sentiments écrasés par tout ce qu'elle était forcée de simuler, ses principes qu'elle devait abandonner pour tenter de survivre dans un monde qui la dépassait. Qui les dépassait tous.

"Si je ne vole pas, je ne risque rien, je vais juste mourir. Alors désolée, je vais prendre le risque encore une fois. Encore d'autres fois."

Elle s'autorisa un sourire en coin, le visage amer - parfaitement consciente de ses paroles. Un aveu. C'était comme admettre une vérité qu'elle n'avait jamais voulu penser par elle-même, livrée à ses pratiques qu'elle aimait présenter comme un jeu. C'était toujours plus simple d'éluder ses méfaits, de mentir à nouveau, mais par respect pour la tolérance de Fawn, elle s'était prise à cet instant de vérité. Tout en réfléchissant à ses prochaines paroles, elle se calma, sa respiration ralentissant - elle en avait assez de s'énerver. Elle n'avait rien à prouver tant les faits étaient bavards, faisant baigner les riches dans une honte que tout l'argent du monde ne pourrait étouffer.

"Et toi ?" demanda-t-elle calmement. "Tu as vraiment foi en un système qui punit les conséquences des injustices qu'il engendre ?"

once is a mistake (r)

Redoutable, oui, ça se voyait. Ça se sentait. Ça n'avait rien à voir avec son allure, sa taille, ses muscles ou son style vestimentaire, c'était dans l'aura que tout se jouait. Elle savait en voyant la demoiselle à la chevelure de feu qu'il ne valait mieux pas pousser sa chance, qu'elle saurait lui faire montre de son entraînement en quelques instants mais comme elle l'avait dit plus tôt, Maxine était franche. Pas honnête, non ; ce principe entrait en totale contradiction avec sa nature de voleuse, mais on ne pouvait lui enlever sa franchise. Elle avait vu pire. Sur le plan de la combativité, elle était incapable de juger d'autant qu'elle n'aurait su tenir plus de deux secondes contre cette fille, mais moralement, Fawn avait des principes et c'est ce qui la rendait moins pire que d'autres.

C'est sa tolérance qui l'avait poussée à laisser Maxine s'en sortir et cette dernière ne viendrait peut-être plus lui faire les poches par respect pour ça, en dépit de tout ce qu'elle avait bien pu lui dire, mais elle ne retirerait aucun de ses mots pour autant. Si ses pensées ne plaisaient pas à la guerrière, elle avait largement les moyens de les lui faire retirer - mais dès lors, elle perdrait une bonne partie de l'estime que la nomade lui avait réservé. Elle était contre la violence. Elle ne voulait pas être garde, encore moins qu'elle ne le pouvait - aussi pensait-elle les mots qu'elle lui avait adressé ; auxquels Fawn répondit avec agacement.

Des efforts... ça suffisait vraiment ? Alors qu'elle glissait les doigts sur ses propres vêtements pour en palper le tissu, un acte qui lui rappelait ses longues heures de travail et qui la rassurait dans ces moments où elle se pensait si incompétente, elle y pensait sérieusement. Elle avait plus parlé de la garde comme d'un exemple, et si tant est que c'était possible, mais elle refuserait de s'y abaisser du fait de son pacifisme. Jamais elle ne ferait de son métier quelque chose de violent - dans l'éventualité où elle en prenait un - et jamais elle ne ferait du mal à quelqu'un au nom de ce soit-disant système. Elle n'y croyait pas, et à vrai dire, elle n'était pas certaine que son interlocutrice y croit davantage.

Tout se vit à sa réaction - elle se raidit, agita machinalement la tête, faisant jouer le physique pour moins penser. Elle avait abordé le sujet qui fâchait. Il faut dire qu'il était difficile pour un soldat de suivre aveuglément une justice qui ne trouvait aucune raison à sa mise en oeuvre si ce n'était par l'existence des divinités. Ce monde était injuste et les religions stupides qui le régissaient n'étaient que des excuses avec lesquelles les dirigeants se voilaient la face et effaçaient la culpabilité de leurs actes.

Maxine le savait. Elle s'attendait à ce que Fawn, étant donné la lucidité dont elle avait fait preuve à son égard, le comprenne, la soutienne ou ne serait-ce qu'admette cette absurdité mais il n'en fut rien.
Elle poursuivit sur sa propre lancée aveugle, et ce fut au tour de Maxine d'être agacée. Elle se crispa, les ongles légèrement enfoncées dans sa peau mais se reprit très vite - elle n'allait pas abîmer sa superbe peau pour des absurdités pareilles.

"Ces dieux sont pas là quand on a besoin d'eux malgré tout ce que les gens font pour eux. La chute de Galiea l'a montré."

Elle porta longuement son regard sur la guerrière pour essayer de déchiffrer son expression. La nomade était originaire d'Okeanos et de ce fait, Maxine avait été vraiment bouleversée par la colère du dieu - et ça n'avait servi qu'à la persuader davantage que rien n'avait de sens ici.

Elle n'était peut-être pas aussi forte, honnête, belle ou encore, aussi douée que Fawn, mais elle brillait par ses maigres qualités. Son franc-parler, sa spontanéité, ses intentions. Elle avait plus de considération pour la vie humaine que la plupart des gens - et de ce fait, elle était incapable de faire du mal à qui que ce soit. Elle jugeait mieux que beaucoup, et bien que son ancienne famille soit impliquée dans la chute qui avait survenu il y a peu, ça n'influençait pas ses mots : elle avait coupé les ponts et elle n'avait pas même cherché à prendre des nouvelles. Jasmin était tout ce qui comptait, tout ce qui restait de son passé. Les pays, les villes, les dieux ne représentaient rien, mais elle pensait au poids des vies qui se perdaient dans la chute comme dans chaque sacrifice, chaque action dédiée aux divinités, et rien ne l'énervait davantage. Ce n'était pas personnel, juste cruellement humain.

"Et je vais te le prouver." souffla-t-elle en s'écartant, prenant une grande inspiration. "LES TROIS DIEUX SONT DES COUILLES MOLLES !"

Elle l'avait hurlé assez fort pour que tout le quartier l'entende, sinon plus. Elle avait même jugé pertinent de grimper sur un petit baril pour espérer se faire entendre davantage mais ça n'avait pas eu autant d'effet qu'elle l'aurait voulu. Gratifiant la voûte céleste d'un magnifique doigt d'honneur, elle sauta par terre et croisa les bras en se portant de nouveau sur Fawn.

"Si j'ai tort alors ton dieu viendra me faire sa justice lui-même. Je l'attends de pied ferme." conclut-elle sévèrement.

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