Les gens, créatures disparates dans un monde brisé. Beth observe leur manège, détachée comme à son habitude. Comme si elle n'en faisait pas vraiment parti, comme si elle était une sorte de créature éthérée, assise entre deux dimensions, juste là pour se moquer du commun des mortels.
Belle et cruelle. Ou pas.
On ne sait jamais trop à quel saint se vouer avec elle...
Elle sourit, déambulant dans les rues en sifflant une comptine pour enfant, une vieille histoire de nomade, tendre et rude à la fois. Les gens qu'elle avait croisé ces derniers jours avaient été particulièrement intéressant. Elle en reverrait certainement quelques uns, quelque part, un jour. Il lui plaisait bien.
Le chemin qu'avait décidé d'emprunter ses pas la menait tout droit vers le lac Purita ; certainement cherchait-elle un lieu pour laisser libre-cours à ses réflexions.
Et à son envie indéniable de faire une connerie. Elle sourit délicatement et avant même d'avoir atteint son objectif, ses pieds s'emmêlent dans quelque chose et elle vacille dangereusement vers le sol. Et après d'abracadabrantesques tentatives de rétablissements, c'est son jupon qui la trahit en la faisant s'écraser lourdement sur la personne qui se trouvait là.
Enfouie sous ses vêtements, la seule chose qu'elle trouve à dire n’est autre que :
« tu as bien fais d'être là. » Elle fronce le nez et finit par s'écarter de sa pauvre victime ; Beth tente tant bien que mal de reprendre une contenance, déstabilisée plus par le ridicule de sa chute que par la chute elle-même. Elle ne lance même pas de regard au pauvre bougre qu'elle venait d'interrompre dans son repas.

Splotch.
C'est le bruit que fit la boulette de viande en venant s'écraser sur le visage lisse de Beth ; elle ferma les yeux, sans rien dire, le visage crispé dans une expression de profond dégoût. La viande laissa une traînée  de gras bien visible sur son visage et ses vêtements en se laissant emporter par la gravité.
Vous ai-je déjà parlé du fait que Beth ne supporte pas que l'on salisse ses vêtements ?
La jeune femme prit quelques secondes pour essuyer son visage dans un pan de sa robe, elle était sale maintenant, alors un peu plus ou un peu moins.
Puis Bethsabée fit un sourire immense, plein de dents, pas des plus amicales. Le bougre aux cheveux roses lui fit des vagues excuses, continuant de manger sa brochette comme si il était affamé depuis plusieurs jours. T'en auras pas. Beth le regarde d'un œil circonspect. Qu'est-ce que c'est que cet idiot........ Un petit sourire naît sur ses lèvres pincées.
« Tu as sali ma robe. » dit-elle sur un ton neutre.
D'un mouvement léger, elle se redresse pour s'asseoir plus confortablement. « J'espère que tu as de quoi payer pour le nettoyage. » Elle lance un regard à la brochette, une idée pas des plus sympathiques derrière la tête. « Et si tu ne peux pas payer..... Je me contenterais de tes brochettes en dédommagements. Y compris celles qui sont dans ton sac. »
Ihi.

Faisons fi de ce qu'il dit, de ce qu'l se passa avant que bethsabée ne se retrouve complètement immergée dans l'eau un peu boueuse des bord du lac Purita et passons directement à ce moment précis où elle est immobile, les vêtements trempés, les yeux fixés dans un vide absolu. Il avait osé, il avait osé la mettre à l'eau. Elle ne réussit pas tout de suite à relever la tête, trop appliquée à contenir une fureur meurtrière qui réchauffait l'ensemble de son corps. Sa robe mouillée pesait une tonne, elle la détacha pour se retrouver en sous-vêtements dans l'eau, les cheveux en pagaille, le regard furieux ; puis elle sortit du lac d'un pas décidé et vint sourire aimablement à l'idiot. Un beau sourire, chaleureux et doux.
Beth essora sa robe et, sans crier gare,  elle fit volte-face en laissant le vêtement au sol, elle récupéra le sac qui se trouvait à quelques mètres et avant qu'il n'ait pu tenter quoi que ce soit, la poche et son contenu sombrait mollement dans les eaux du lac.
Beth poussa un petit soupir satisfait, un main sur la hanche. « Ainsi nous sommes quittes. » Elle envoya un baiser vers  le gamin aux cheveux roses et se remit au bord de l'eau pour nettoyer sa robe et l'essorer.

Accroupie au bord du lac, les mains plongées entre les plis du pauvre tissus de sa robe, Bethsabée était affairée à ôter le plus possible de saleté possible. Sa colère avait été si soudaine et si brûlante que la Voyante avait eu grand mal à la contenir et elle détestait par dessus tout perdre ses moyens. Mais dès qu'il s'agissait de ses vêtements, elle finissait toujours par se mettre en colère.
Beth n'avait jamais expliqué à personne les raisons de son attachement excessif à tout ses vêtements, babioles, bijoux et autres objets hétéroclites qui formaient ses seules possessions matérielles. Elle avait tant de secrets à garder sur elle-même ; tant de honte à contenir, de tristesse et de doute. Tant de choses noires. L'eau du Lac Purita était douce, elle fit bien son œuvre et quand Beth fut satisfaite de son nettoyage, elle retira la lourde robe de l'eau et se mit à l'essorer consciencieusement.
Beth n'avait jamais fait grand cas de la pudeur et elle ne se souciait que très rarement de l'effet que son corps à moitié nu pouvait provoquer. C'est ce qui s'écrasa sur son visage qui la ramena à la réalité ; le t-shirt avait l'odeur de son propriétaire, une odeur mêlée de bouffe, de savon et de sueur. Elle grimaça en posant le vêtement par terre. « Tu n'avais qu'à réfléchir avant d'agir . » Lança-t-elle sur un ton agacé. « Il ne fallait pas être aussi stupide. »
Elle cracha le mot stupide entre ses dents, étalant au sol la robe, en espérant qu'elle sèche un minimum dans l'heure qui suivrait.
Bethsabée poussa un grand soupir, un frisson parcourant son dos nu, elle se résigna à enfiler le t-shirt qu'il lui avait lancé, non sans une grimace au passage. Il fallait se rendre à l'évidence elle préférait encore porter un t-shirt laid et puant plutôt que de prendre le risque de tomber malade.
Beth n'avait pas le temps d'être malade ; pas envie de supporter la gentillesse d'Isis non plus. « Comme tu l'as si bien dit, ce n'est que de l'eau, alors tu n'as qu'à manger tes brochettes mouillées. »

Beth se pinça le nez par agacement ; poussant dans le même temps un soupir si profond qu'il souleva sa poitrine. Elle avait beau essayer de rationaliser ce qui se passait depuis tout à l'heure, la situation lui paraissait totalement irréelle. Q'une personne soit à ce point idiote, même s'il s'agissait là d'un mâle visiblement à peine sorti de l'adolescence, elle trouvait ça presque délirant.
Elle avait cette sensation désagréable qu'il se foutait ouvertement de sa gueule avec ses histoires de boulettes trempées ; mais il était juste stupide. Juste idiot, pas méchant, pas mesquin, pas moqueur, juste un peu trop simplet.
Beth mit bien encore quelques minutes avant de digérer l'information ; elle avait fait face à tant de perfidie et de machiavélisme maquillé en idiotie qu'il lui fallait bien ça pour reconnaître qu'il existait des gens aussi bête que ce spécimen à poils roses. Elle ne lui rendit pas son innocence pour autant, bien trop agacée par l'état de sa robe et par le fait de devoir porter un habit de si mauvaise facture.
« Sors ces brochettes dégoûtantes de ma vue avant que je hurle. » dit-elle dans un léger mouvement de recul de la tête. « N'as-tu donc aucun semblant de savoir-vivre ?.....» L'Hôpital se fout de la charité.
Ses yeux se posèrent en un regard glacé sur son interlocuteur.
Puis elle se détourna complètement de lui pour essayer de remettre en place ses cheveux. Si seulement elle avait eu sa brosse sur elle, le probème aurait-été réglé depuis longtemps.
Maugréant et pestant contre le sort, le destin et toutes les divinités de la chance passées et présentes, Bethsabée finit par s'asseoir en tailleur au bord.
Elle fixait sans ciller la surface miroitante du lac, soudainement décrochée de la réalité, poussa un soupir et ferma les yeux dans une tentative de recentrage.