••• Your body was filled with wounds FT OKITA
En posant pied pour la première fois depuis près de deux lunes à Démétrio, Eden fut pris d’un malaise. C’était un tiède après-midi, l’air était humide et sentait étrangement le renfermé. Ayant vécu toute sa vie dans les sous-sols d’Atlas, il n’avait jamais réalisé à quel point cette odeur était puissante. Un mélange de terre humide et de végétation flottant dans l’air désespérément statique. Immobile à l’entrée de la cité, le jeune homme humait l’air, déconcerté. Soudain, ce qui lui avait semblé familier durant toute son existence prenait un sens nouveau. Ils vivaient comme des rats sous des mètres de boue, loin du ciel et de la lumière. Il mit plusieurs minutes avant de se décider à avancer, décidant de flâner un peu dans la capitale, au hasard des rues comme il avait l’habitude de le faire par le passé.
Prétendre qu’il venait de passer deux mois à l’air libre de Cassiopeia était une réalité fantaisiste. Certes il venait bien de passer un temps relativement long dans la capitale de Caelestis, mais il n’avait pu goûter à l’air libre et les étendues céruléennes qu’un cours instant. Cela avait suffit à éclaircir le blond de ses cheveux, qui n’avait jamais connu la lumière naturelle. Malgré la conscience nouvelle du parfum âcre et habituel de sa nation, Eden était soulagé d’être de retour. Il était heureux de redécouvrir ces rues asymétriques et désordonnées, ce brouhaha constant qui rendait la ville si vivante, en comparaison à la propreté fabuleuse de la ville aérienne. Démétrio était un marché permanant. Eden n’avait qu’un petit sac en bandoulière pour bagage. Il avait quitté Earthea sans rien emporter d’autre que ce qu’il avait sur le dos. Il avait récupéré de vieux vêtements parmi les invendus d’une petite boutique de Cassiopeia, et ces tissus qui attiraient là-haut des regards méprisants semblaient ici trop riches. Il avait fait d’une lanière de cuir une ceinture à laquelle pendait un fourreau qu’il effleurait fièrement de temps à autre. C’était là le signe de sa résolution toute neuve.
Durant le trajet du retour, le garçon avait réfléchi longuement à ce qu’il ferait une fois rentré. Il en était arrivé à une unique conclusion pour l’heure, il ne souhaitait pas retourner vivre avec sa famille. Il était las de leur apporter du soucis, et s’il se doutait que sa disparition si brusque avait probablement brisé le cœur de sa mère, sa vie d’avant ne lui convenait plus. Eden était résolu. Il ne voulait pas rester un poids mort pour eux. Son père, sa mère, son frère avaient passé trop de temps à travailler tous de leur mieux pour le nourrir quand il ne faisait pas le moindre effort. Par ailleurs, il se refusait à reprendre ces études qui lui déplaisaient tant. De toute façon, il ne comptait pas faire de son retour un secret. Aussi il ne doutait pas qu’une connaissance finirait par le reconnaître et s’empresser d’en avertir ses proches, levant ainsi leur hypothétique inquiétude. Qu’avait pu penser son père, et son frère ? Qu’il avait fui pour s’extraire aux contraintes de la vie en société, à sa propre culpabilité de ne pas avoir pu sauver son grand-père ? Probable. Eden connaissait l’image qu’on avait de lui, et il avait bien honte. Quelque part, il se sentait soulagé de pouvoir affirmer qu’il n’avait pas fui. Pour autant, il préférait laisser penser cela à la multitude, comme une punition qu’il s’infligeait pour toutes ces années d’insolence. Passer pour un lâche avait toujours été douloureux pour le jeune homme après tout.
N’ayant pas réellement trouvé d’endroit pour se réfugier, il s’était finalement décidé à se rendre au temple. Voilà longtemps qu’il n’avait pas prié Earthea, et il pourrait peut-être trouve un peu de réconfort auprès son défunt grand-père. La présence du vieil homme lui manquait particulièrement, et il ne pouvait s’empêcher de se sentir responsable de sa mort, survenue peu avant son départ. S’il avait su le soigner au lieu de le regarder agoniser dans son sang. S’il avait été en cours au lieu de passer ses journées à déambuler au hasard des rues. Les choses auraient été différentes. C’était ce que son père avait dit, à l’époque. C’était ce qu’il avait cru lire sur le visage fermé d’Alexius.
Le temple lui, n’avait pas changé. Toujours enfoui sous la mousse et les fougères, l’humidité était palpable et le silence intense. Serrant la bandoulière de sa sacoche au point que ses articulations devinrent blanches, il s’avança d’un pas lent le long de l’allée aux dalles inégales. Au bout de celle-ci, la statue du dieu se dressait, solitaire et assaillie de lierre. Lorsqu’il arriva au pied de l’édifice, il déposa avec soin son sac et son fourreau à côté de lui, avant de se mettre à genoux, la nuque baissée en signe de déférences devant la représentation d’Earthea. Eden joignit ses paumes et salua le dieu. Il allait entamer une prière lorsqu’un son sec résonna dans le temple, le faisant sursauter. Il avisa alors un second jeune homme, posté un peu plus loin et dont le visage ne lui était pas inconnu.
« Vous êtes le gardien du temple, n’est-ce pas ? » S’enquit-il aussitôt et se relevant.
FOR THE SAKE OF WEAKER PEOPLE