L’être humain est une créature contradictoire. Il en faut peu pour en venir à cette conclusion. Après tout, qui oserait créer des guerres avec l’intention de connaître la réconciliation? Si l’entre-deux est un peu plus flou, le résultat en reste néanmoins identique. L’Homme est une créature foncièrement malhonnête et dangereuse. C’est l’expérience qui parle. Tout simplement parce qu’ils ne sont qu’égoïsme et convoitise. Ils s’entraident lorsqu’ils en retirent quelque chose, pas autrement. Matérialisme ou gratification, qu’importe.
Tu aimais observer les gens, Tom. Depuis toujours, tu avais appris à déceler les fourberies, les faux-prétextes et l’avarice. Même si tu avais cette vision pessimiste, au moins tu savais à quoi t’attendre. Tu ne croyais pas au don de soi, ni aucune autre de ces tentatives de camoufler la vérité. Ton regard était analytique, profond, un peu trop pour te permettre de baigner dans ce bonheur candide qui semble être ce que tout le monde désire. Aujourd’hui, pour faire changement, tu étais en congé. Ce que cela signifiait? Eh bien, au lieu de rester derrière ton comptoir, tu te promenais entre les tables, cherchant à savoir ce que tes bons clients pensaient de leur nourriture. Ils aimaient, bien sûr. Ils n’oseraient jamais dire le contraire. Toutefois, tu les voyais mal dire le contraire. L’expérience de la Société était à la fois innovatrice et gastronomique. La cuisine mélangée à la science pour créer une nouvelle d’apprécier la nourriture. Quoi ne pas aimer?
Si tu savais qu’il ne s’agissait pas là de compliments vains, il semblait que le repas ne faisait pas l’affaire de tous tes bons clients. Une jeune femme, plus loin, haussait le ton face à son partenaire. Une dispute de ménage? Non, loin de là. Le regard perverti de l’homme trahissait ses réelles intentions. Les regards posés sur l’étrange duo se faisaient plus nombreux. Un soupir résigné s’échappa de ta bouche alors que tu replaçais tes lunettes sur tes yeux. Ce n’était pas la première fois que des individus, hommes ou femmes, cherchaient à acheter une nuit de plaisir dans ton restaurant. Un investissement coûteux, pensais-tu. Tu te faufiles entre les tables, décidé à éviter qu’une guerre n’éclate ce soir. Au fond, tu n’étais jamais vraiment en congé, n’est-ce pas?
Tu arrives, pose une main sur l’épaule de l’homme d’Okeanos. La fille, elle, n’était pas du coin. Ses vêtements parlaient pour elle. Si tu voulais jeter l’homme à la porte, tu voulais tout de même bien paraître. Une façade. Tu n’étais pas bien différent de cette race que tu méprisais. L’inverse aurait été assez problématique.
«Excusez-moi… monsieur. Certains clients se plaignent du…du ton qui monte ici. Comme nous ne voulons pas de problème, je vous suggèrais de partir maintenant et continuer votre dispute ailleurs…s’il vous plaît.»
Beaucoup trop poli, presque gêné. Pourtant, intérieurement, tu lui crachais à la figure. Incapable de livrer le fond de ta pensée, tu n’étais pas moins fourbe. Tu t’approchas doucement de son oreille.
«Je n’aimerais mieux pas avoir à faire intervenir les autorités compétentes.»
L’homme changea instinctivement d’expression. Même pour les bons citoyens d’Okeanos, l’idée d’une police secrète dans ce régime dictatorial n’était rien de plus qu’une rumeur. Mais tu connaissais mieux. L’homme aussi, puisqu’il se fit soudainement très petit, te remerciant pour le repas et se dirigeant vers le comptoir pour payer.
«M…Merci de votre coopération. Nous nous chargerons du couvert de mademoiselle.»
On penserait que tu étais la bonté incarnée, si tu faisais ça. On en parlerait aux autres et invariablement, tu ferais l’acquisition de nouveaux clients. Non, la générosité sans rien n’attendre en retour n’existe pas. Tu détestais ça. Tu te retournes vers la demoiselle.
«Vous allez bien? Il…eum, ne vous a rien fait?»