C'était une journée très particulière. C'était un projet entamé deux années plus tôt qui naissait enfin, qui arrivait bientôt à son terme. Il avait demandé beaucoup de temps et d'investissement, mais le résultat était satisfaisant. On lui avait demandé de concevoir un robot humanoïde qui serait construit sur la place Ballaena, pour distraire la foule et faire la promotion des constructeurs de membres bioniques. Il était programmé pour avoir divers comportements ludiques, comme raconter des blagues, jouer au shifumi, défier au bras de fer, complimenter les filles, bref, des trucs quelconques et un peu superficiels, mais qui faisaient leur petit effet.

Le robot était déjà installé à son emplacement prévu et la base était fonctionnelle, mais il restait encore du travail sur pas mal de points avant de considérer qu'il était finalisé. Et Aiden était donc obligé de se déplacer pour travailler sur place, sous les regards des civils curieux. C'était d'ailleurs un peu fatigant d'être épié ainsi toute la sainte journée ; il aimait travailler seul et dans le calme, et tous ces gens qui s'agitaient autour de lui l'irritaient au plus haut point. Tout cela ne faisait qu'aggraver ses maux de tête habituels. T'aurais pas dû accepter ce boulot de merde, vraiment.

Accroupi derrière le robot, il bricolait le ventre de l'engin qui avait encore besoin de retouches, et il remarqua au bout d'un moment la présence de trois gamins juste à côté de lui, qui regardaient fixement l'intérieur de la machine, les yeux pétillant de curiosité. Il s'arrêta un instant et s'apprêta à leur demander gentiment de dégager, quand l'un d'eux mit soudain les mains dans sa boîte à outils pour fouiller, dans l'espoir d'y trouver quelque chose d'intéressant.

« Bas les pattes, sales morveux ! » lâcha-t-il sur un ton agacé, tout en tapant du poing sur le robot - très résistant heureusement.

Il n'eut même pas le temps de faire quoi que ce soit, car les enfants s'enfuirent en courant avec la boîte à outils, riant aux éclats. Faudrait les museler et les tenir en laisse, ces mômes. Il se passa une main sur le visage et poussa un long soupir. Il ne trouva même pas la volonté de se lever pour les poursuivre ; ils n'iraient pas bien loin avant de se faire attraper, sans doute.

Je valse et je divague sous les méandres de l'océan. Cheveux aux vents, je me penche sur la rambarde, les yeux figés sur le paysage qui s'offre à moi. Les lueurs pâles de l'aurore me tâtent et illuminent mon visage pâle. Il est relativement tôt mais je peux déjà apercevoir les lueurs du soleil qui miroitent depuis la profondeur des eaux. Afin de préparer mon voyage au pays d’Okeanos, je me suis permise de prendre quelques jours de congés afin d’optimiser au mieux mon voyage, en profitant de cette ville dans le calme. Je n’aime pas la précipitation, et je serai contrariée de devoir bâcler ma balade au pays sous-marin.

La rosée du matin fouette mes joues et me sort de ma torpeur. Je frisonne et je referme mon veston à capuchon noir sur moi, alors que le navire s'approche à grand pas de la berge. Mon regard s'illumine, au milieu de ces vagues houleuses de bulles et de poissons, à travers la végétation du corail et les éclaboussures de la roche, Galiea apparaît majestueusement sous mes yeux. Ville impératrice, je ne peux qu’observer avec un intérêt palpable l’architecture de cette civilisation étrangère. Solidement amarrée à bon port, le navire s’immobilise et je dépose pied à terre.

Je déambule le long d’une grande place, esprit envolé, pensées dans la rêverie. Bien que l'endroit soit assez inattendu, je ne peux nier le charme et la beauté de son paysage qui ne manque pas d'accrocher toute mon attention. Un petit restaurant chaleureux vient à peine d'ouvrir, et la douce odeur du pain chaud réveille mon ventre affamé. Et je le vois, je vois la scène, je vois sa contrariété. Des éclats de rire, une blague de mauvais goût : jeunesse insolente ! Dissimulée sous ma capuche noire, je dégaine habilement mon épée que je dresse au milieu de la course de ces jeunes enfants, stoppant ainsi leur échappée belle : «  Oï les mioches … Dépêchez-vous de rendre cette boîte ou vous avez plus de tête. » Fulminais-je tout en ôtant ma capuche pour darder mon regard caramel vers eux, les toisant avec froideur.  Je fais racler mon épée au sol sur le bitume tandis que j’avance lentement, ondulant de mes hanches pour accentuer ma marche lente. Tétanisé, les garnements se s’hâtèrent de rendre le butin volé avant de fuir à toutes jambes. Dans un soupir d’agacement, je range mon arme avant d’arborer un rictus sur le visage : « Hm. Dure journée pour vous, McMillen ?! »

Il ne fallut pas beaucoup de temps avant que la boîte ne soit soigneusement reposée à sa place. Mais le contenu, en bordel. Aiden ne fit aucune remarque et laissa les enfants s'enfuir tout en rangeant correctement le matériel dans la boîte. Ils auraient bien mérité qu'il prenne la télécommande du robot pour les rattraper et leur mettre la fessée en public, mais Aiden avait fort heureusement une excellente maîtrise de lui-même.

Dans le plus grand calme, il reposa la boîte près des pieds du robot, et s'apprêtait à reprendre son travail lorsqu'une voix féminine attira son attention. C'était la jeune femme qui avait fait fuir les gamins, armée d'une épée. Elle était de Caelestis, cela se voyait tout de suite ; le peuple du ciel se croyait toujours tout permis.

« Oh, je vois que Caelestis nous gratifie une fois de plus de la présence de ses justiciers en armure. » dit-il d'une voix douce et sarcastique, en évitant soigneusement de répondre à sa question. Cela paraissait évident, au ton qu'il employait et à son expression faciale, qu'il passait une journée de merde.

Cette femme, il la connaissait bien. Ce n'était pas la première fois qu'il la rencontrait. Même si ses visites n'étaient pas très fréquentes, elle laissait toujours une marque de son passage, ne serait-ce que par sa présence imposante et ses grands airs. Typique de Caelestis. Malgré tout, il ne la détestait pas, mais il ne pouvait pas s'empêcher de témoigner un peu d'hostilité envers le peuple du ciel. Il y avait toujours eu quelque chose qui le dérangeait chez eux et qu'il ne pouvait pas expliquer. C'était viscéral.

« Qu'est-ce que vous me voulez encore ? Si vous êtes contrariée qu'on ne vous ait pas déroulé le tapis rouge à votre arrivée, c'est à l'agence qui gère le réseau de sous-marin qu'il faut aller vous plaindre. » rajouta-t-il d'un ton léger, peut-être un peu moqueur aussi.

Et alors il s’est passé quelque chose : je me suis laissé aller dans un total oubli de moi-même, envahie par le jour, le silence et la plénitude. Ce sentiment de satiété après avoir arrêté ces sales garnements d’Okeanos me plongeait dans le ravissement.  Et c’est à son paroxysme que mes yeux s’ouvrent grand sur des néants que je n’aurais jamais soupçonnés. Imprégnée dans cette rafale constante, l’élection de ce lieu comme refuge aurait été une condition alléchante, mais quoi que de plus dégradant que de vivre soi-même dans un rêve éveillé ? Convoquez le bagne, je serai votre pire cauchemar : éveillé tout comme dans le monde des songes. Mes lèvres pulpeuse d’un rouge vermeille s’étire afin d’exposer au grand jour l’esquisse d’un sourire. Railleur. Scandaleusement, persifleuse, je préfère requalifier ce sourire –qui est loin d’en être un, quand on sait qu’il n’engage nullement de sympathie – comme étant un rictus.

Je me dresse derrière mon mutisme, ne manquant point de prêter attention aux propos acerbes qui fusent de la bouche du jeune homme. Premier round, premier affrontement. Qui sera assez habile de sa répartie pour mener la danse ? La précipitation du jeune homme dans l’arène me laisse dans la perplexité la plus totale. Et j’en reste même dubitative, ne sachant pas trop comment aborder son entrée fracassante. Bien que mon esprit s’agite et frémit sous l’influence de ses propos nauséabonds, piquée à vif, je demeure stoïque arborant un visage neutre et lisse. Chaque mètre que je parcourais bâtait un rythme régulier par le claquement assourdissant de mes talons en un alliage en fer.

« Que voulez-vous ? Je suis Général, mon armée est influente à Okeanos » ;  A l’image de son humeur, je me plais à accueillir le jeune homme sous le drapeau du mépris et de la moquerie. Bourreau et victime à la fois, je me flatte d’entretenir avec soin cette relation cocasse où la joute verbale se joue à pile ou face, sans aucune règle, ni limite dans nos retranchements.  « Votre perception de ma venue est bien erroné. Je ne viens que pour le business, et il se trouve que ce sont vos travaux qui m’intéresse » ; Douce contemplation, n’est autre que le fruit malsain de cette course furieuse emplie d’inepties qui nous ont pourtant cloués tous deux sur la même croix mortuaire.  

Aiden se leva, par politesse, lorsque la jeune femme s'approcha de lui. S'il témoignait un peu de réticence face au peuple du ciel, il n'était pas pour autant discourtois. Il en profita pour sortir une cigarette et l'allumer avec son zippo en argent. Il n'avait pas envie de se lancer dans un affrontement d'ego stérile, surtout pas avec une femme, et encore moins une orgueilleuse femme de Caelestis. Il ne connaissait que trop bien l'opinion glorieuse que ces gens avaient d'eux-mêmes. Surtout quand ils ne juraient que par cette armée.

« Juste assez influente pour impressionner une bande de gamins, je veux bien vous l'accorder. » dit-il tout en expirant doucement la fumée de ses poumons. Il riait intérieurement, devant le complexe de supériorité évident de la jeune femme.

Mais il ne s'attarda pas là-dessus. Lorsqu'elle évoqua son intérêt pour ses travaux, ses airs de défi s'envolèrent et laissèrent place à son inexpressivité habituelle. Il se pencha pour refermer le couvercle en métal dans le dos du robot et ramassa sa télécommande, avant d'activer la machine. La tête fit trois tours sur elle-même et ses yeux clignotèrent avec vivacité. À l'aide du contrôleur, Aiden lui fit poser un genoux à terre et s'incliner devant miss Hundjäger. Une petite démonstration d'un des gestes qu'il était capable d'exécuter, parmi des milliers d'autres.

« Deux longues années de travail pour ça. Je n'ai pas encore implémenté son intelligence artificielle mais il sera totalement indépendant lorsqu'il sera terminé. » rajouta-t-il avec un petit sourire énigmatique aux lèvres, sa cigarette coincée entre ses dents.
Lorsqu'il était immergé dans son travail, il oubliait toute notion de conflit entre les nations et n'accordait plus aucune importance au comportement des gens. Il était comme ça, suffisamment passionné pour passer outre les différences et les a priori.

« Sinon vous êtes venue pour quelque chose de particulier ou seulement par curiosité ? » questionna-t-il sans lui accorder un seul regard, reprenant les commandes pour faire relever le robot et le faire marcher en tournant en rond, comme un exercice matinal.

L’influence de nos peuples ne pouvait qu’être indéniable, et à malgré l’effluve de notre discussion, nos langues se délient à l’emploi d’un langage châtié. Cependant cette joute verbale avait le mérite de se passer dans la courtoisie et le respect de soi. Argumenter avec un homme d’Okeanos revenait à s’adresser à un mur. En effet, le dialogue entre Caelestis et Okeanos s’apparente à l’incarnation d’une chimère. Et comme dans tout conflit, tout est bon pour déplorer la petitesse  et  mépriser l’existence de l’autre peuple. Caelestis est souvent critiqué pour nos airs soi-disant pédants  et Okeanos apparaît à mes yeux comme non fréquentable. A l’allusion du jeune homme sur mon autorité militaire, je ne pus réprimer un rictus. Sa remarque bien que cynique avait le mérite d’être véridique, et silencieusement j’hochais la tête.

Mais les peines s’amoindrissent avec le pain, et là où nos deux pays se divisent, il existe toujours un pont pour les relier. Aiden, homme de la civilisation sous- marine est un brillant ingénieur, et sa science me fascine. Alors que le drapeau du sarcasme flottait dans les airs, il fut en berne lorsque je lui aie annoncé la raison de mon voyage à Galiea. Passionné de son travail, lui en parler semblait être l’une des choses à faire pour avoir une discussion dénuée de toute moquerie en tout genre. Bien que je ne le connaisse ni d’Eve ni d’Adam, cela faisait plaisir d’avoir une discussion sérieuse, surtout après le voyage périlleux que j’ai fait pour venir voir cet ingénieur. Alors que je glissais les mains dans mes poches, un bruit d’artillerie métallique me fit sursauter, reculant d’un grand pas en arrière, je ne pus réprimer mon ahurissement alors que la machine semblait exécuter une révérence. Un rire s’échappa de mes lèvres alors que je m’inclinais à mon tour.

« Votre science est impressionnante à Okeanos, jusqu’où votre connaissance s’arrête ? Je ne peux nier que ma curiosité n’est pas piqué à vif, après avoir rencontré cette merveille, j’ai hâte de la revoir au stade final ! » avouais-je avec un sourire en coin.  Alors que mon regard émerveillé contemplait la machine, il me questionna à nouveau sur l’objet de ma visite. « Ma curiosité est présente oui, mais je suis ici dans un but précis : je souhaite me renseigner sur votre science … bionique ? Le remplacement artificiel d’un membre du corps humain. Un bras, par exemple ? » ; Mon ignorance pour la science étant palpable, je ne cherchais pas à me faire valoir en prétendant m’y connaître alors que je suis clairement une femme de terrain, une guerrière.

Cette merveille. Aiden ne pouvait pas s'empêcher de se sentir fier lorsque les gens reconnaissaient la qualité de son travail. C'était tout ce qui importait pour lui, développer des technologies toujours plus innovantes et utiles, et voir que ses efforts étaient appréciés et récompensés. Il ne lui en fallait pas plus.

Il tourna lentement la tête vers la jeune femme lorsque celle-ci commença à lui expliquer la raison de sa venue ici. Force est de constater que beaucoup de gens, notamment d'autres nations, s'intéressent de très près à la science bionique. Il demeura silencieux quelques instants, comme s'il réfléchissait. Il stoppa la marche du robot et le laissa en attente, ne touchant plus à aucun bouton de la télécommande.

« Pourquoi ? Je vois qu'il ne vous manque ni bras ni jambe, vous me semblez suffisamment en forme pour ne pas vous intéresser à ça. »

Mais elle se projetait sans doute dans l'avenir, c'était une guerrière et l'idée de perdre un bras ou une jambe un jour l'avait sans doute effleurée. Beaucoup angoissée même, pour qu'elle fasse le voyage jusqu'ici uniquement pour cela. Aiden esquissa un petit sourire énigmatique. Ou peut-être était-elle de ceux qui voyaient en cela une supériorité par rapport au corps humain naturel. Les gens qui cherchaient à dépasser leurs limites en se faisant greffer des membres bioniques étaient bien plus répandus qu'on ne l'imaginait.

« À moins que vous fassiez partie de ces tarés qui se font volontairement amputer de tous leurs membres pour les remplacer par des substituts bioniques alors qu'ils n'en ont pas besoin. Enfin, vous faites ce que vous voulez hein, je ne vous juge pas. »

Oui, il n’y avait pas à user de la langue de bois. Ce tas de ferrailles pour certains, apparaissait sous mes yeux stupéfiés  comme une merveille issue de la main de ce jeune ingénieur, doté de doigts de fées. Parce que mon ignorance accentuait encore plus mon ahurissement, je n’éprouvais aucune honte à m’extasier ouvertement devant le créateur de cette machine. A quoi bon ? Mon appartenance à Caelestis m’ôtait de toute science infuse en ce qui concerne les domaines intellectuels scientifiques, allant de la mécanique jusqu’à la science bionique, voir même génétique.

Je perçus le trouble fugace qui s’installa à l’issue de la justification de ma présence à Okeanos. Bien que cela pouvait être incompréhensible pour certains, j’étais préoccupée à l’idée de finir amputé à l’issue d’une grave blessure au combat. Et c’est en raison de cette inquiétude que je me suis enquise sur ce que la science d’Okeanos peut m’offrir afin de compenser un éventuel handicap majeur qui pourrait m’empêcher d’exercer ma profession de Général au sein de l’armée.

Je ne pus réprimer un soupire avant de dégainer mon épée. Caressant la lame du bout de mon index, je la fis miroiter au soleil avant de la saisir à pleine main, tournant le pommeau vers Aiden. « J’ai appris l’anatomie humaine de la manière la plus atroce qu’il soit. Savoir qu’un homme n’est qu’un sac d’eau, d’os et sang est une chose ; mais lorsqu’une lame transperce un homme, et pouvoir sentir son sang s’écouler, entendre ses os se briser, et  le voir se vider de son eau, c’est autre chose. » ; Le visage à huit clos, le regard évadé, je range mon arme dans son fourreau avant de me passer une main dans les cheveux tout en psalmodiant d’une voix calme : « Je ne suis pas une super-héroïne, et je ne suis pas différente des autres hommes. Je finirai peut-être par subir des dégâts corporels, et je tiens à anticiper la catastrophe. Tout comme vous, mon métier est ma vocation, il m’est vital. »

Cette épée dégainée devant lui de façon si impudique dérangeait un peu Aiden. Ce n'était pas une offense directe, mais il n'appréciait pas beaucoup de voir un quelqu'un dégainer son arme en sa présence, cela lui semblait un peu déplacé comme attitude. C'était peut-être normal là-haut, mais par ici, ce n'était jamais perçu d'un très bon œil.

« Vous, le peuple du ciel, avez donc conscience de vos faiblesses. Ravi de l'apprendre, je m'en souviendrai pour plus tard. » répliqua-t-il tout en lui adressant un petit sourire énigmatique.

C'était un aveu tout à fait intéressant qu'elle venait de lui faire après tout ; elle reconnaissait qu'elle n'était pas infaillible. C'était probablement la première fois qu'il entendait ces mots de la bouche d'un soldat de l'armée de Caelestis.

Il laissa son robot à l'arrêt et glissa la télécommande dans une poche arrière de son pantalon, avant de tirer sa cigarette de ses lèvres et laisser échapper la fumée de ses poumons. Il ne pouvait que comprendre les raisons pour lesquelles la jeune femme était soucieuse, mais tout cela soulevait aussi d'autres questions qui l'intriguaient beaucoup.

« Si vous arrêtiez de chercher la merde partout où vous allez, peut-être que vous n'auriez pas besoin de vous battre et vous seriez à l'abri de tout danger, vous ne croyez pas ? »

La provocation faisait partie de sa nature et était totalement inhérente à son comportement face aux gens qui l'entouraient. C'était tout ce qu'il avait trouvé pour ne pas se laisser marcher sur les pieds, et c'était ça sa meilleure arme, à lui.
Gardant sa cigarette coincée entre deux doigts, il posa son autre main sur son torse avec un air d'engagement, avant de poursuivre ses paroles d'un ton presque théâtral.

« Mais rassurez-vous, si jamais il devait vous arriver de fâcheuses sévices, vous serez accueillie chaleureusement dans nos locaux et vos prothèses vous seront servies sur un plateau d'argent, avec la bénédiction d'Okeanos en cadeau. C'est offert par la maison. » dit-il avant de marquer une petite pause. Puis il reprit. « Autre chose, miss Hundjäger ? »

Le caramel de mes iris s’extasiait sur la brillance que se réfléchissait de la lame de mon épée. Voir, toucher, et manier une arme blanche étaient choses habituelles pour moi, et en voir une tout aussi commun pour le peuple de Caelestis. En effet, à l’instar du peuple Okeanos, et de leur avancée scientifique, nous autre, peuple de Caelestis avons une manière de combattre relativement ancestrale.

« Si nous étions réellement surpuissants, nous ne marchanderions pas avec vous, peuple de la mer. » ironisais-je à mon tour, lui jetant un coup d’œil espiègle. Bien que notre conversation demeure courtoise, notre divergence de culture était toujours aussi palpable, désignant le peuple opposé par la désignation « Vous, peuple. »

Mon attention est à nouveau accaparée par la machine immobile, mais impressionnante sous mon regard ignare de toute science. Je me pose sur mes genoux à terre, rapprochant ainsi mon regard sur le tas de ferraille. Curieuse, j’amorçais un geste pour toucher le bras de la machine, mais je me ravise à mi-chemin, songeant que je devais regarder avec les yeux et non avec les mains. Je hausse les épaules  avec dédain, alors que j’encaissais la remarque du jeune homme avec indifférence.

« Okeanos paie l’armée de Caelestis pour sécuriser votre pays ; je ne travaille pas ici bénévolement, si ça déplait, votre peuple peut aller se plaindre aux supérieurs !  Et si Caelestis cherche la merde ou non, peu importe, je protège et je me bats lorsqu’il le faut. »

Je rigole doucement. Je ne peux pas lui en vouloir de critiquer Caelestis, nous sommes incompris par le peuple d’Okeanos. Enfin, c’est le principe de cette haine viscérale que nos deux peuples se vouent l’un l’autre, ils ne se comprennent pas. Je me passe une main dans ma chevelure flamboyante avant de me relever doucement sur mes pieds tout en observant sa mise en scène théâtrale. Devais-je mal le prendre ? Bof, pas vraiment, cela scellait un éventuel contrat à venir en cas de besoin.  « C’est parfait alors. Bonne fin de journée à vous, Mcmillen. » ; Cet entretien a été simple, clair et concis. Je rejette ma capuche noir sur ma tête avant de tourner les talons. Mes talons en alliage résonnent sur le chemin en pierre. Je lui adresse un bref signe de main, un au revoir. En espérant ne pas avoir à marchander avec lui dans un futur plus ou moins proche …