this hurricane chasing us all underground † leinee

Chasseuse remplit son devoir – accomplit les tâches qu'on lui a confiées. Elle tue et range dans son sac en toile, lequel est déjà tâché de sang poisseux. Mais elle ne s'en importe pas, poursuit sa chasse et se complaît dans un silence carnassier. C'est au bout de plusieurs heures fructueuses qu'elle achève sa dernière victime : un chevreuil, dont elle tranche purement et simplement la gorge. Nettoyant les traces de son passage du bout du pied, elle emporte la carcasse vers la Forêt Racinière, préférant offrir cette énorme créature aux seuls animaux qu'elle apprécie : les loups. Son chemin dévie rapidement vers les profondeurs du bois, elle s'y enfonce sans une once d'hésitation pour flairer la tanière des plus faibles canins.

Mais son objectif devient tout autre lorsqu'elle entend un gémissement de douleur. Aux aguets, elle replace le masque rouge sur son visage et réajuste la position de sa veste de camouflage, entrant de nouveau dans son rôle de bourreau. Elle a reconnu le ton de cette plainte et compte bien retrouver sa piste. Et c'est quand un spectacle particulier s'offre à ses yeux que sa discrétion se brise. Son pied s'abat maladroitement sur une branche qui manifeste sa douleur dans un retentissant craquement, signalant la présence de Kira à tous les êtres présents dans la clairière.

Une parfaite inconnue, sur son territoire, achevant de tuer une magnifique louve. Les mains tâchées d'hémoglobine. Le regard impassible de quelqu'un qui vient d'assassiner quelque chose d'autre. La colère, écarlate, éclate au coeur du cerveau de Kira. Elle poursuit sa route en direction de la scène de crime, les globules rouges de ses yeux éclatent, les rendant plus menaçants encore. La démarche calme et prédatrice d'une chasseuse expérimentée, la haine dévorant son être et les prunelles meurtrières lançant des éclairs de rancune.
Pas un mot n'est lancé, elle finit par bondir sur la tueuse et l'écrase au sol, son canif appuyé contre sa gorge. Il suffit d'une légère torsion d'un côté aléatoire et elle rejoint le cadavre à ses côtés. Mais Kira n'agit pas, elle observe. Elle scrute le bourreau de toute sa hauteur, renifle et sa rapidité lui fait s'entailler le doigt sur sa propre arme. Dans un grognement furieux elle ne se décale pas d'un millimètre, son regard glissant simplement en direction de la louve défunte.

Une, deux flèches enfoncées dans ses flancs. La peine apparaît le temps d'un instant, bien vite remplacée par cette colère omniprésente. Dans sa réaction excessive, Kira abat son poing sur la mâchoire de l'intruse et se redresse d'un bond pour retirer inutilement les véritables responsables de la mort de l'animal. Les premières paroles sont grondées, la voix rendue rauque par le choc.
Quelqu'un a chassé un loup.

« C'était pas à toi de l'achever. C'pas ton rôle. »

Elle observe la forme des têtes des carreaux, essaye de reconnaître quelque chose, n'importe quoi qui lui permettrait d'identifier le coupable. Mais rien ne vient et, dans un élan de fureur, elle écrase les dards entre ses doigts, brisant le bois et s'entaillant un peu plus les doigts. Elle se redresse lentement, observe de nouveau celle qu'elle a failli tuer.

« C'pas tes terres. Dégage, si tu peux pas m'aider. T'sais qui a fait ça ? »

Le ton dur, glacial. Paradoxalement agressif. Elle aboie presque, quand elle parle. Les débris au creux du poignet, elle les glisse dans sa sacoche et accroche le sac plein de gibier à sa taille. Elle lance une des têtes de flèche à l'inconnue, attendant qu'elle prouve son inutilité ou non.

Y a pas vraiment d'espoir dans tout ça. Mais elle a pas de temps à perdre et, avant toute chose, elle doit donner son chevreuil aux gosses de cette pauvre créature assassinée. Et tout ce temps elle conserve son masque, elle se cache derrière l'anonymat de Chasseuse.
Hors de question de faire confiance à qui que ce soit, même un instant.

this hurricane chasing us all underground † leinee

« La terre n'appartient à personne. Nous l'utilisons, nous la foulons chaque jour. Chaque être vivant ne fait que l'emprunter jusqu'à la fin.
- C'est ça. »

Ses paroles transpirent de dédain. Inattentive, agacée, elle balaie ses paroles d'un geste vague de la main et ne s'intéresse à elle qu'au moment où ses préoccupations viennent sur le tapis. Bien taillée, légère. Evidemment, les habitants de Démétrio sont innocents – pour être toute à fait honnête, Kira n'avait même pas soupçonné ses compatriotes. Envahissants, certes, mais respectueux. C'était la seule vraie qualité qu'elle leur avait trouvé, à défaut de les apprécier.

« Ils utilisent ses flèches, dans la Zone militaire. Je n'ai jamais vu quelqu'un d'autre qu'un soldat les utiliser. »
Un sourire fugace se dessine sur les lèvres de Chasseuse ; bref, carnassier et surtout d'une joie malsaine. Bien, cette petite peut s'avérer utile. Elle redresse son masque pour respirer plus facilement et resserre les liens de ses sacs autour de son bassin, son canif entre les dents. Alors c'est un soldat qui a osé fendre la chair d'une mère comme une autre. Le regard de la sauvageonne s'abat comme une épée sur l'inconnue lorsqu'elle rouvre la bouche pour une proposition plus ou moins alléchante.

« Tu connais la forêt. Je sais probablement qui a fait ça. Je t'aide à retrouver cette personne, tu m'aides en retour. »

La confiance n'y est pas, Kira accepte à contrecoeur. La rancune se fait plus forte que la raison et son hochement de tête éloquent mais sec représente d'une simplicité déconcertante toute la difficulté qu'elle a à approuver cette alliance temporaire. Le nom de sa compatriote temporaire ne l'importe pas, d'un nouveau mouvement elle lui intime de rester là. « Attends ici. Si tu bouges, je te retrouverais. » La menace est évidente et ses yeux brillent sous le déguisement rouge ; elle rattrape son chevreuil et le découpe sèchement, ses morceaux atterrissant au fond de son sac à dos. Embarquant la carcasse encore fraîche sur son épaule, elle abandonne la demoiselle pour mettre en œuvre son premier objectif : les loups.

Il ne lui faut qu'une dizaine de minutes pour atteindre la tanière, une nouvelle poignée pour les nourri et vérifier qu'aucun ne soit trop mal en point et elle retourne dans la clairière, lavée du sang qui lui salissait les mains et les jambes. Elle jette un œil à son acolyte et croise les bras d'un air blasé et paradoxalement excité à l'idée de chasser autre chose que des herbivores.

« Tu as dit que tu savais. Dis tout c'que tu sais. Qu'est-ce que tu veux d'moi, au passage ? »

Tout en parlant, elle tourne autour du cadavre, reniflant brièvement. Elle observe les empreintes, retourne la louve et lui caresse le flanc d'un air infiniment triste, oubliant le temps d'un instant la présence humaine à ses côtés. Kira déteste cette sensation d'avoir perdu quelque chose, elle qui refusait pourtant de s'attacher à quoi que ce soit. Et quand une des rares créatures qu'elle apprécie la quitte, qu'elle soit douée de conscience ou non, ça lui fait plus mal qu'elle ne l'admet.
Faiblesse mise de côté, elle laisse la carcasse livrée à elle-même, recule et dépose juste devant une oreille de lapin ; un petit rituel qu'elle a mis en place toute seule. Une partie immangeable du premier animal qu'elle aura chassé sera déposé devant un éventuel cadavre – humain ou lupin, peu lui importe.

« Peu importe qui c'est. Il est encore dans la forêt. Les blessures sont fraîches et cette louve n'a pas pu marcher longtemps avant de s'écraser. Dépêche-toi, on a pas beaucoup de temps avant qu'il parte. »

Le casque est replacé par réflexe sur son visage entier – elle part d'un pas décidé, écoutant éventuellement les informations que la petite chose a à lui offrir. Chasseuse est glaciale, en ce jour tiède.

this hurricane chasing us all underground † leinee

« J'ai croisé des gens en descendant ici. En échange, je veux apprendre. Une connaissance ou un savoir faire. Je suis certaine que tu as quelque chose d'intéressant à m'apprendre. Ce n'est pas tous les jours que l'on croise une chasseuse expérimentée, enfin du moins, qu'on ait le temps de converser. Chasser, tuer, ça, je sais faire. Me battre également. Alors après, c'est à ta guise. »

Kira lâche un infime grognement, agacée de manière définitive. Cette gosse ne lui a offert pour informations qu'une maigre phrase sans réel intérêt et, en échange, elle souhaite connaître l'un des secrets de Chasseuse ? Certains s'étaient faits égorger pour beaucoup moins que ça. Dans un effort surhumain de self-control, la petite brune ne dit rien, se contente de jouer avec la fourrure qui recouvre son corps.
« Deux. Je crois qu'ils sont deux, et pas très discrets. Deux hommes, dans la vingtaine. »

Un sourire invisible mais carnassier se glisse furtivement sur le visage de la chasseuse, caché par son masque écarlate. Elle réfléchit à toute vitesse, ses yeux embrassent le sol dans l'attente de trouver des empreintes – et celles-ci arrivent bientôt, des dizaines d'indices tous plus révélateurs les uns que les autres. Quelques tâches de sang parsemées sur les feuilles, minimes mais suffisantes pour prouver que l'un d'eux est blessé – ou qu'ils transportent une proie à mains nues.
« Je ne me souviens pas t'avoir déjà croisée à Démétrio. Tu n'y vis pas ? Et je ne sais pas ton nom. J'aimerais bien savoir comment t'appeler. Question de pratique. Leinee. »

L'hésitation se fait sentir dans le ton de la chasseuse, elle ne lui adresse même pas un regard et finit par lâcher d'une voix professionnelle, dénuée de toute émotion et, surtout, glaciale. « Ils m'appellent Kira. » Hors de question de donner toute autre identité, si ce n'est Chasseuse. Le reste est loin derrière la demoiselle, Absinthe est restée chez ses parents et Kira est devenue indépendante. Dans un soupir, elle s'accroupit et son bras barre la route de la dénommée Leinee.

Ils sont proches, délicieusement proches. Canif sorti, coincé entre ses crocs et masque relevé pour libérer sa respiration rauque. Elle est prête à chasser, peu importe sur qui elle tombera. Ses pas se font plus lents, plus précis – elle évite de marcher sur les branches, foule la terre nue et indique d'un signe de tête à son alliée de la suivre. Son chuchotement se fait partiellement couvrir par les sifflements des oiseaux. « Marche dans mes pas. »

Ce genre d'activité en groupe est aussi excitant que dangereux – parce que si l'un ne se fait pas remarquer, le second peut très bien faire une erreur, et vice versa. Kira n'ayant aucune confiance en les soit-disant talents de Leinee, elle préfère ne pas prendre de risque et rester le plus prudente possible. Arme bien en main, elle écoute les bruits des mouvements de ses proies, repère leur direction et contourne silencieusement la zone qu'ils couvrent, le tout avec la rapidité d'un prédateur expérimenté.
Leur respiration se fait presque entendre.
Leurs râles de fatigue dégoûte Chasseuse.

Et elle observe les bourreaux, fondue dans le décor grâce aux racines. Elle navigue de planque en planque, détaille l'état des soldats. Carquois à moitié vide, transpiration qui empuantit l'air. L'effort les éreinte – ils ont peut-être beaucoup marchés, et leur fatigue est évidente. C'est là qu'elle jette un œil à son acolyte, qu'elle lui fait signe et en profite, plongeant à quatre pattes sur les deux pour trancher d'un coup sec le tendon de la cheville du premier. Le sang met quelques secondes à couler de la plaie, la douleur se manifeste dans le corps du blessé avec la rapidité d'un serpent.
Kira n'hésite pas un instant, elle lui assène un coup de pied pour être sûre qu'il bascule et son coude rencontre la nuque du deuxième, au cas où Leinee n'aurait pas été assez efficace.

Toujours dans son rôle d'expérience, elle bâillonne les deux avec deux morceaux de tissus arrachés à leurs tenues d'un nouveau coup de canif et les entraîne avec elle, intimant une nouvelle fois à la petite de la suivre – et de l'aider, bien entendu.

« On les amène à la première clairière qu'on trouve. Fait gaffe à la blessure du plus grand, il faudrait pas qu'on voit tes empreintes dans les tâches. »
Envahie par la rancune et le besoin de venger les louveteaux désormais orphelins, elle les traîne sans une once de pitié, ignorant leurs grognements faiblards. Mais les efforts sont trop conséquents, son corps pourtant taillé pour ce genre d'activité faiblit petit à petit – elle sent la fatigue s'infiltrer comme une sinueuse vipère dans son organisme.

Le temps s'enfuit à toute allure, le besoin d'être rapide et discrète devient aussi puissant que l'instinct de survie. Elle lâche ses paquets au beau milieu de la clairière et c'est là que la question la plus importante se pose : que faire d'eux, si ce n'est les tuer ? Cette solution lui semble affreusement facile, mais malgré son absence de pitié et de compassion, Kira n'est pas le genre de personnes capable de torturer quelqu'un par simple plaisir.

« On va.. On va les mettre là, les attacher et les laisser aux prédateurs.. A part si t'as une meilleure idée ? »
L'adrénaline et la fatigue l'empêchent de réfléchir correctement – elle paniquerait presque, peu habituée à ce genre de situations.
« Eh merde. J'déteste les humains. »
Et sa phrase est ponctuée d'un coup de pied sec dans la mâchoire du moins blessé. Impulsive.

this hurricane chasing us all underground † leinee

Le plus gros problème de Kira, c'est qu'elle n'a jamais appris à gérer la pression. Les responsabilités trop importantes. Son incapacité à comprendre les personnes plus ou moins civilisées l'handicapent de telle sorte qu'elle préfère généralement les éviter – et sa grande erreur, dans cette histoire, c'est d'avoir fait de Leinee son alliée et de relâcher sa surveillance.
Parce que cette petite vicieuse n'attendait qu'une chose ; que Kira perde les pédales, ne serait-ce qu'un instant. L'impact est douloureux, les coups conséquents pour une gosse de sa carrure. Mais le plus dur à encaisser, c'est ce bras prisonnier, tordu si violemment que la chasseuse doit se mordre intensément l'intérieur de la joue pour ne pas hurler. Ses crocs s'y plantent et un peu de sang glisse au fond de sa gorge, le goût âcre lui réveillant les sens.

Une alarme interne hurle au danger, son cerveau part en vrille mais pas un mouvement ne perturbe l'immobilité mortuaire de son corps. Chaque centimètre serait douloureux et ça, elle n'en a jamais eu une telle conscience.
« Désolé de te le rappeler, humaine, tu l'es tout autant que nous quatre ici. Ce n'est pas en se comportant comme une bête sauvage qu'on en devient une. Pour une chasseuse, ton comportement est bien minable. Chaque vie, animale ou humaine a le même prix. On tue pour nos propres besoins, pas par plaisir. Et tu t'apprêtes à laisser deux hommes mourir pour une erreur stupide. Si tu comptais vraiment le faire, tu ne vaux pas plus qu'eux. As-tu vraiment un si mauvais fond ? »

Dès que la gosse lâche son étreinte, Kira recule mais ne se masse pas l'épaule ni le bas en général, refusant de montrer qu'elle a souffert de cette prise – même si les gouttes de sueur et la légère traînée d'hémoglobine le long de son menton en disent long sur ce qu'elle a ressenti. Agacée comme jamais et même un tantinet humiliée, elle retire son masque et l'accroche à sa taille, ses yeux aux globules rouges explosés fixant d'un air purement assassin la responsable des pics de douleur dans son corps.

« Sombre conne. Ca sort sèchement, son ton rauque devient de plus en plus agressif. Je n'ai jamais dit mieux valoir qu'eux, c'est toi qui t'enferme dans ton putain de conte de fée. La vie a le même prix ? Alors j'devrais leur trancher la gorge ici et maintenant. Ils ont tué par peur, je tue par vengeance. Et si la vie a le même prix, la conscience reste la même. On est tous des connards, toi y comprise. Elle lâche un rire exaspéré et quelques pas tranchent la distance qui la sépare de la voyageuse. Tu te sens comment dans ta peau, dis-moi ? T'es un ange, hein ? T'as jamais rien fait de mal, toi t'as pas un mauvais fond, comme tu dit. Eh ben voilà un scoop, connasse : moi, j'suis pas quelqu'un de gentil ou d'aimant. J'aide personne sans recevoir quelque chose en retour. »

Elle lui crache aux pieds et pointe un doigt accusateur dans sa direction, sa voix se muant petit à petit en cri. « Toi aussi poupée, t'es une belle salope. Tu m'as aidé pour sauver ces assassins, tu m'as piégé encore plus salement que le pire des chasseurs. On vaut pas mieux les uns que les autres, toi y comprise. Et tu sais pourquoi ? Parce qu'on est tous des putains d'humains. L'humain est mauvais, y a rien de bon à en tirer. »

Nouvel éclat de rire, suivi d'une toux sèche et désagréable. « Démerde-toi avec tes tueurs, démerde-toi avec tout ce que tu veux. Moi j'en ai rien à foutre. » Et elle passe à côté d'elle sans une once de pitié ou de sentiment, elle garde son canif en main et reprend sa route, l'épaule rougie et le masque de nouveau abattu sur son visage tordu par la haine viscérale qui fait trembler chacun de ses membres.

Oui, Kira est humaine.
Et c'est sa plus grande faiblesse.