Il n'aurait pas dû prendre des fleurs. Sérieusement, qui offre des fleurs à une fleuriste ? Pire, qui offre des fleurs pour dire « désolé de t'avoir mis un lapin il y a quatre ans de ça, ou plus, je ne sais plus vraiment ! ». Jensen était pitoyable, ridicule à faire les cent pas devant la boutique de fleur de la jolie Xin. La jeune femme avait été si douce et parfaite lors de leurs quelques rencontres. Jensen se souvenait encore de ses lèvres. Mais il avait un peu peur de qui il allait retrouver dans cette boutique. Elle pouvait le haïr, le frapper, voire l'ignorer ? Il ne savait pas vraiment, elle aurait pu tout faire ! Il avait été un homme abjecte, le genre que lui-même aurait insulté. Mais parfois on fait tout le contraire de ce en quoi on croit, parfois on est stupide.

Jensen avait été stupide avec Xin, stupide et idiot et... il avait des insultes plus vulgaires en tête, mais ce n'était pas le moment, parce qu'il était là, devant la boutique et qu'il allait enfin s'excuser – restait à savoir si ce serait avec ou sans les fleurs.
Il fit encore un aller-retour devant la porte, s'arrêta, s'apprêta à reprendre et— manqua de se faire projeter par un homme qui sortait de là, un immense bouquet entre les mains. Jensen s'écarta le plus possible pour le laisser passer et soudain il vit la porte se refermer tout doucement, sans réfléchir  il la retint et entra.

Le parfum des fleurs l’assaillit, il n'avait jamais vraiment été à l'aise dans ces endroits clos aux odeurs fortes, mais il respira par la bouche et tint bon. Il chercha aux milieux de toutes ces couleurs la forme gracieuse de Xin et quand il la repéra, son souffle se perdit. Il ferma un instant les yeux, prit une large inspiration par la bouche et s'avança, tendant devant lui le bouquet sans vraiment savoir s'il allait dans la  bonne direction. Mais il fallait qu'il agisse et qu'il assume et qu'il soit un homme pour une fois et non pas cette loque incapable d'aller s'excuser auprès d'une femme.

-Xin, je. Je suis sincèrement désolé, dit-il alors dans un murmure.

Ce n'était vraiment pas facile.

-Euh. Je-

Jensen rouvrit les yeux et découvrit qu'il ne s'était pas ridiculisé. Elle était bien là face à lui avec un sourire un peu pincé. Leo déglutit.

-Tu — hrum — tu es tout pardonné ?... Merci pour les fleurs ?

Il en était sûr, les fleurs étaient une mauvaise idée. Sa voix tremblante – de gêne certainement – et ce rire coincé, et ce sourire qui s'en va. Qu'avait  fait Jensen ? Où était ce joli sourire léger ?
Il avait eu des doutes jusque là. Pendant cinq ans, il avait imaginé qu'elle l'avait pardonné, ou qu'elle avait continuée sa vie en l'oubliant. Mais c'était si loin de la réalité. Il sentait dans sa voix vacillante qu'elle ne voulait pas de lui ici, et il ne pouvait que la comprendre. Mais il ne pouvait pas partir maintenant, il fallait qu'ils parlent pour que cette affaire soit close. Alors, un peu brusquement il dit, poussant les fleurs vers elle :

-Tu n'as pas à me mentir.

Il prit une grande inspiration.

-Je- Je suis venu ici pour qu'on, qu'on règle ça. Non pas régler, qu'on en discute ? Je ne veux pas partir alors que. Que-. Tu sais que ce n'était pas contre toi, n'est-ce pas ? Je. J'ai été idiot et j'ai eu- j'ai. je-.

Il bégayait, incapable d'exprimer ce qu'il voulait. Les mots s'échappaient et tombaient sans avoir de sens, et ça lui donnait l'impression d'être limiter dans ce qu'il pouvait faire, retenu par des cordelette, sa langue pâteuse. Il fallait pourtant qu'il parle, qu'il lui dise. Mais le discours qu'il avait mis des années à préparer s'était évaporé de sa tête, alors il se retrouvait là, agacé par son incapacité à continuer à forcer sa voix à parler, parler, mais tout ce qui sortait était un charabia incertain. Il finit par soupirer et lâcher :

-Demande-moi ce que tu veux, je le ferais.

C'était une bien grosse proposition qu'il ne pourrait certainement pas tenir.