Des zones.
Des zones dans la forêt.

C'est ce qui avait fini par arriver.
Tel les loups et les tigres, vous en étiez rendues à vous occuper de vos territoires respectifs.

De toute façon, les loups te répugnent, ils sont vils, canins.
Comme s'ils attendaient à être dominés, à trouver un alpha, pathétique. A toujours se déplacer en meute. Pathétique.

Et pourtant, il te fallait franchir cette barrière invisible. On t'avait demandé d'aller quelque chose qui ne se trouvait que de ce côté de la forêt. Ce côté que Kira s'était illégitimement octroyé. Comme si elle était reine ici.

Et ça te répugnait encore plus.

Quel dédain envers Earthea, quel manque de respect envers les dieux.

Et désormais, quel manque de respect envers toi.
Comme si sa présence n'était pas déjà assez nuisante.
Maintenant elle t'insultait.

Mais qu'y connaissait-elle en relations humaines ?

A peine le temps de lever le sourcil, perplexe, elle fondait sur toi.
T'assaillant de pars et d'autres — avec haine et rancoeur.

Et le combat commençait.
Evitant son premier assaut, tu contre-attaquais d'abord avec tes poings.

Roulant au sol, tu te relevais rapidement, feulant de rage.

Tu lui faisais face. La dévisageant, les crocs sortis, le regard noir.

C'était à toi d'attaquer, t'élançant rapidement sur ton adversaire, la main portée à ta dague, la déliant agilement de ta cuisse. Esquivant et glissant sous Kira, tu lui taillais une magnifique nouvelle cicatrice sur le mollet.

Dans un même geste, tu venais de recevoir un majestueux coup de pied dans le menton.
Tes lèvres heurtèrent tes crocs, et le goût du sang parvint dans ta gorge.

C'était toujours comme ça. Vous ne pouviez pas toucher l'autre sans être touché à votre tour.

Crachant l'hémoglobine, essuyant d'un revers de main le sang de tes lèvres, tu souriais.

C'était amusant au final. L'adrénaline qui montait, cette volonté de faire du mal à l'autre, réussir à la toucher. C'était gratifiant. Et tu pourrais continuer jusqu'à ta mort. Ou la sienne. Mais jamais tu ne t'avouerais vaincue.

Alors qu'elle tentait de te frapper au ventre avec son talon, tu attrapais ce dernier et envoyait Kira voler quelques mètres plus loin. Quelle idée de se mettre soi-même en position de faiblesse, complètement déstabilisée.

Elle venait de t'offrir l'opportunité de la jeter au sol. Opportunité dont tu t'étais emparée sans hésitation.

Avant même qu'elle ne se relève, tu sautais sur elle, prête à lui mettre un coup de poing dont elle se souviendrait s'il arrivait à destination. Ce dont tu doutais vu ses capacités similaires aux tiennes.

Douleur.
Ta cuisse déchirée, le sang qui coule le long de ta jambe, teintant d'un rouge vermeille l'herbe bleutée de ce lieu si habituellement paisible à tes yeux.

Et tu te mords la lèvre.

Tu ignores si c'est le stress mais ta production de catécholamines fait rage mêlant adrénaline et noradrénaline à ton énergie. Le sourire revient, quel spectacle. L'un de ceux dont tu aimais avoir le rôle principal, même si tu devais aujourd'hui partager la vedette avec Kira, cette louve.

Et c'est sans crier gare que tu te prit un violent coup de genoux dans l'estomac, évitant une lame, ripostant d'un uppercut bien placé, l'un de ceux dont tu avais le secret.
Pliée en deux, comme un roseau au gré du vent, tu feulais sur ton adversaire qui ne s'éloignait pas et même pire, qui continuait cette danse passionnée et passionnante d'attaques avec les moyens du bord.

Griffes, crocs acérés. Avec le temps, ils étaient devenus vos meilleures armes.
Ton regard est noir, emplie de haine.
Ce vert d'habitude gorgé d'espoir ne reflète plus qu'une détermination sans faille. Il faut que tu gagnes, il faut que tu mettes Kira a terre, tu n'es pas encore prête à mourir.

Attrapant le couteau nonchalamment planté au sol, tu retournes l'arme de la louve stupide contre elle, ciselant son bras d'une magnifique cicatrice. Ce qui eut pour effet de te prendre son front violemment contre le tien.

Flou. Tout devenait flou. Et une vive douleur parcourait tout ton corps, passant d'un nerf sensoriel à un autre, traversant tes couches dermales à vive allure pour aller alerter la partie de ton cortex qui te hurle de reprendre tes esprits.

A terre.
On se demande qui est la plus stupide des deux.

Te relevant à peine, voilà que Kira est à nouveau sur toi, et sans que tu t'en rendes vraiment compte, instinctivement, tu attrapes son poing qu'elle tente d'écraser sur ton crâne.
Mais tu ne peux empêcher son autre main d'agripper tes cheveux, s'amusant à écraser ton crâne contre le sol si dur.
Une fois, tu es sonnée, une deuxième fois, tu sens le sang monter dans ta gorge, une troisième fois, quelque chose se fêle, quelque chose se fêle en toi et c'est désormais l'animal qui parle.

Si jusqu'ici tu retenais tes coups par empathie, c'était désormais ton instinct animal qui prenait le relais dans ce combat à mort.

Usant de l'adrénaline qui coule dans tes veines, tu attrapes Kira par le bras, glissant et appuyant ton doigt dans l'entaille nouvellement faite et tu l'envoie par terre quelques mètres plus loin.

Mais elle se relève. Il faudrait y aller plus fort.

Elle t'adresse un sourire carnassier, l'un de ceux qui semble vouloir te mettre en garde, et tu feules, aussi fort que tu le peux, montrant tes crocs teintés de sang.

Resserrant tes gants

Sans réfléchir, tu lui sautes dessus, lui assenant un coup de genou avec toute la force et la puissance dont tu disposes, mordant son épaule.
Te baissant pour éviter un nouveau coup de boule, tu balayais ses jambes pour la mettre à terre, te plaçant sur elle tu enchaîne les coups de poings sur son visage, droite, gauche, droite, gauche.

Ca ne pouvait pas être aussi facile, désormais tu te retrouvais au sol, le sang coulant de ton aine.
Tu avais évité de justesse que son couteau ne s'enfonce dans ta poitrine, mais tu n'avais pas pu empêcher la lame de t'entailler. Un cri de douleur.

Ce n'était pas tant la fatigue qui était gênante, tu ne la ressentais pas. C'était plutôt votre expérience mutuelle et votre ferme envie de vous entre-déchirer qui devenait grandissante.

Roulant sur le côté pour éviter de te faire à nouveau toucher, tu te relevais rapidement et agilement, jetant une pierre, assez grosse, sur cette louve déchainée.

Sans faire attention à la réussite ou non de ton geste, tu te jetais à nouveau sur elle, griffes en avant, glissant sur le cou de ton assaillante. Tu te retrouvais en position de faiblesse. Pour réaliser cette offensive, il t'avais fallut abaisser tes défenses; alors tu sautais en arrière, t'éloignant de toute attaque.

Glissant tes doigts sur ta machette, tu te résignais à ne pas l'utiliser, pour l'instant.
Le moment viendrait bien assez vite. Et s'il fallait abattre cet animal dénué de raison, tu ne te gênerais pas.

Et voilà que tu contemples rapidement ton corps dévasté.
Les blessures nouvelles faisant couler le liquide vermeille que tu lèches avec dégoût.

Elle n'est pas mieux.
Des marques de griffures profondes, faisant apparaître de la chaire en lambeau, des bleus sur tout le corps, des entailles recouvertes de sang, les morsures d'une chienne enragée sur ton bras, le crispant de douleur.

Le combat n'avait débuté que depuis quelques dizaines de minutes, mais il semblait interminable, de par la violence de vos attaques.
Chaque coup porté, chaque entaille gravée sur le corps de l'autre, était une victoire en soit.

Tu ris à cette pensée. Il n'y avait finalement ni gagnante, ni perdante. Tout cela ne se terminerait qu'une fois que l'un de vos deux coeurs arrêtera définitivement de battre. Et même là, qui gagnerait vraiment ?

Ca ne rimait à rien. Et pourtant, c'était viscéral, tu la déteste, tu la hais pour ce qu'elle fait et ce qu'elle te fait faire.
Tu deviens un monstre en sa présence.
Même les animaux ont plus d'empathie que tu en as en cet instant.

Prête à tuer.
Prête à mettre fin à sa vie. Sans même sourciller, sans même hésiter.
Et si tu en avais l'occasion, tu le ferais.

Kira avait évité de justesse que tu ne lui arrache la carotide à mains nues en parant ton coup d'un violent coup de genou dans ton ventre.

Décidément, si tu arrivais à éviter la plupart de ses attaques, celle-ci te touchait à chaque fois, brisant un peu plus tes côtes, faisant remonter le sang dans ta gorge.
Une hémorragie interne ? Probablement. Peut-être deviendrais-tu stérile à force.

Crachant le sang tandis qu'elle crache le sien sur ton visage, tu t'écartes. Elle aussi.
A peine as-tu le temps d'essuyer ce liquide cramoisi que sens une lame t'effleurer. Ton instinct t'avais une nouvelle fois sauvée.
Mais tu n'avais pas été assez rapide pour empêcher la seconde lame d'entrer dans ton épaule.

Rien n'avait craqué. Les os ne sont pas touchés, juste de la chaire. C'est déjà ça.

Arrachant violemment la lame étrangère de ton corps, tu attrapes ta machette et tu te jettes sur ta proie.

L'attaquant de front sans succès, tu en profites pour lui donner un coup de talon dans son menton, prenant appui sur ta machette plantée au sol, y mettant toute la force qu'il te restait.

A bout de souffle, le sang coulant d'un peu partout sur ton corps, l'épaule endolorie rendant ton bras inutilisable, tu te retrouvais en position de faiblesse.

Il fallait arranger ça.

A peine le corps de Kira retombait sur le sol, tu t'élançais et ciselait sa cuisse avec ta machette, l'entaillant juste au dessus du genou.
Ce n'était pas assez profond pour que l'os ne soit touché, mais le muscle le serait peut-être. Cela ralentirait la course folle de cette louve.

Crachant de l'hémoglobine un peu partout sur le sol, tu remarquais enfin l'amont de sang qui avait été versé.
Un combat à mort. Seul un combat à mort pouvait déverser autant de ce liquide précieux.

Et tu commençais à en manquer.
Tu le sens.
Tes muscles ne te répondent plus comme ils le devraient, ton coeur palpite, tes articulations te font souffrir.

Ton corps te dis d'arrêter mais ton esprit refuse.

Les attaques deviennent moins violentes, moins rapides, témoignant de votre perte d'endurance physique.

Si ça n'était que psychologique, vous pourriez tenir un siège, mais votre corps vous lâchait petit à petit.

Tu étais tellement concentrée sur Kira que tu n'avais pas senti venir quelqu'un, ou quelque chose.
Pourtant, tu l'aurais senti à des kilomètres. Mais la marre de sang dans laquelle tu pataugeais brouillait tes sens.

Les coups de boules à répétition avait altéré ton ouïe et ton corps était bien trop fatigué et blessé pour se tenir en garde.

Te jetant une dernière fois sur Kira, tu portais ta dernière attaque, ton poing visant à briser ses côtes, si ça n'était pas déjà fait.

Roulant l'une au dessus de l'autre.
Il était temps que quelqu'un vous arrête.

Sinon, ce serait la fin, pour chacune d'entre vous.

Si l'une de vous parvenait à mettre fin à la vie de l'autre, elle succomberait de ses blessures dans les minutes qui suivaient.

Des spectacles ? T'en as vu des milliers dans ta vie. Ceux organisés pour les festivals au sein de la capitale, lorsque les femmes sont vêtues des plus beaux kimonos du peuple de la terre afin d'honorer son grand dieu tout puissant ... Puis il y a les spectacles barbares, ceux qui attirent l'oeil dès qu'une goutte de sang tombe sur le sol ... Ou plutôt même une giclée de sang, soyons honnête. Zackary ? Tu fais parti des deux côtés, tu es plutôt quelqu'un de festif, le sang ? Ca t'intéresse, mais sans plus. Tu en vois tous les jours, de par les bêtes que tu peux tuer en une flèche dans leur crâne. Ce liquide rougeâtre coule le long du sol et le marque parfois à jamais. Le sang, ça t'intéresse mais ça peut t’écœurer.

Te voilà à cavaler sur les terres maudites, masque sur la tête, pendant des jours, et tu reviens enfin sous les terres saines d'Atlas, passant par la forêt Racinière que tu pouvais apprécier par son calme et sa beauté. Calme ? Ce que tu pouvais entendre était des grognements, des hurlements et des oiseaux qui volaient par peur. Qu'est-ce qui était en train de se passer là bas ? Tu ne sais pas mais tu t'armas de ton arc et te dirigea vers le lieu perturbateur.

Et tu les vois, ces deux têtes que tu connaissais que trop bien. Des têtes qui possèdent une relation plus ou moins haineuse pour une raison que tu ignores totalement. Hestia et Kira, elles étaient toutes les deux couvertes de sang, les blessures à n'en plus finir, elles étaient faibles et limite en train de mourir. Les querelles de femme n'ont jamais été ton truc.

La seule chose que tu pouvais faire dans ces moments là, c'était de laisser partir une flèches aiguisées proche entre les deux visages des jeunes femmes. Tes flèches, on les reconnait par leur forme extrêmement pointue et la façon dont elles ont été fabriquées. Ca pouvait trancher le bois tout comme les os d'un animal. Oh, mais attends, lancer une flèche entre les deux jeunes femmes pour les intercepter ? ... Tu viens juste de le faire. Tu gardes ta position de tireur, ton regard attentivement posée sur tes "proies". C'était comme si tu attendais quelque chose .. Peut-être pour voir si elles s'étaient calmées ? Elles ne bougeaient plus, c'était peut-être le cas. Tu remets directement ton arc derrière ton dos avant d'avancer très lentement. Le craquement des branches au sol était le seul bruit qui résonnait dans cette forêt sans fin. Tu ouvrais ta bouche tout en marchant. Une voix qu'on ne souhaite pas entendre lorsque Zackary est dans cet état.

- Ecoeurant. Depuis quand ai-je apprivoisé des animaux sauvages sans cervelle ? Seul Earthea pourra me donner une réponse claire.

Tu ne mâchais pas tes mots. Tu ne l'as jamais fait avec tes chasseurs de toute manière.  Rien qu'à voir leur gueule, y'avait de quoi dire que c'était triplement écoeurant. Tu récupères ta flèche avant de te foutre en face des demoiselles. Tu regardais la pointe de l'objet que tu venais de ramasser, si tranchant, si pointu. Puis tu retires enfin ton masque à gaz, respirant l'air pur du sous-sol ... Mais dévoilant ton regard qui était tout simplement glacial. Ca te gavait. Tu regardes le sol avant de remarquer cette grosse flaque de sang. Dégueulasse. T'aurais préféré voir du sang de monstre, pas d'humain. La colère monte.

- Je pars quelques jours seul en laissant mon équipe derrière et qu'est-ce que je retrouve ? Regardez à quel point vous êtes écœurantes. Et ça se dit "protecteur du peuple" ? Protecteur en enfonçant ses crocs dans la même espèce que la sienne ? Me faites pas rire. C'est pas la première fois que je vous vois comme ça. Et vous savez quoi ? Ca sera la dernière fois que je viendrai vous interrompre pour vous éviter une mort certaine. Pourquoi ?

Tu casses ta flèche sans pouvoir contrôler ta force. Les paroles sortent tout seul de ta bouche, la colère se fait ressentir.

- Parce que je retire votre statut de chasseur. Vous n'êtes bonnes qu'à vous entretuer, je ne vais pas risquer la vie de mon peuple en gardant dans mon équipe deux animaux enragés digne des monstres des terres maudites.

Tu sors ton petit animal écureuil qui s'agrippe sur ton épaule et tu commences à écrire quelque chose sur un petit bout de papier. Tu l'accroches sur la bestiole avant de la laisser partir en direction de la capitale. Une chose était sûre : t'étais pas capable de ramener ces deux femmes vivantes à Demetrio. Alors le seul moyen de les remettre sur pied est d'aller réclamer une équipe de secours. Tu lâches un soupir las avant de tourner dos aux femmes. T'étais plus qu'irrité, t'en avais juste assez de toutes ces emmerdes qui tombaient sur ta gueule. Et voilà que ton groupe était en train de se bouffer entre eux ? Ça t'irritait.

- Que Earthea ait pitié de vous.

Ta vision était trouble.
Tu n'avais vu qu'une flèche.

Et tu te retrouvais au sol, les yeux fermés, emplis de désespoir.
Qu'est-ce qui vient de se passer ?

Ton corps meurtri plongeait dans un sommeil qui te semblait déjà éternel.

Etait-ce la fin ?

Tu distinguais une voix dans ce chaos. Et ce qu'elle disait ne te plaisais pas.
Mais peut-être n'était-ce qu'un rêve.

Oui peut-être n'était-ce qu'un rêve.