Une tonne de papiers s'amoncellent en tas désordonnés sur un bureau bientôt submergé ; Sélène pousse un soupir plein de détresse. Elle retourne les feuilles pour la quinzième fois, embarrassant un peu plus la pièce. « Perdu... Je l'ai perdu.. » Dépitée, la jeune femme pousse un nouveau soupir et d'un geste rageur, elle élimine tout ce qui se trouve sur son bureau pour faire place nette.
Le sol disparaît tandis que la petite blonde se laisse tomber sur sa chaise, en pleine réflexion. Elle grince des dents, observe d'un œil vide le plafond et tout à coup, elle se lève, balançant la chaise au sol.
L'asphyxie qui règne sur son cerveau mal irrigué à force de manque de sommeil rend délicate toute réflexion. Elle bouscule des gens dans les couloirs sans même s'en rendre compte, des cernes immenses sous les yeux et, quelques minutes plus tard, se plante devant une nouvelle porte. Elle prend une profonde inspiration et entrouvre l'entrée de la pièce ; elle se plante dans l'encadrement, à demi cachée par le panneau de porte. « Est-ce qu'il y a quelqu'un ? »
Faites qu'il y ai quelqu'un.

Une voix lui répond sur un ton poli, posé. La petite femme à la porte se frotte les yeux, la vision floutée par la fatigue. Elle secoue sa tête de bas en haut en entrant dans la pièce avant de se rendre compte qu'il est certainement plus poli de répondre de vive voix : « Oui, pardon. Je... Oh. » Elle marque une pose, sourit. Elle cherche un homme certes, mais pas celui-là. Pas aujourd'hui du moins. « McMillen.. Je pense que je me suis trompé de labo de façon assez impressionante... »  Et elle pousse un soupir gêné, se flagellant mentalement pour sa bêtise. Outre le fait qu'elle s'était planté de labo, elle s'était même planté de département. Peut-être était-il temps de dormir Sélène finalement. Les recherches attendraient bien quelques heures de plus ; la jeune femme s'apprête alors à quitter la pièce, à s'excuser poliment de son manque de jugeote.
Mais un mouvement derrière le scientifique attire son regard et attise sa curiosité. Elle plisse les yeux, hésite, se mord la lèvre.
Puis finalement, Sélène pointe le terrarium du doigt et lance sur un ton tremblant : « ...N'y avait-il pas un lézard là-dedans ? »
Au fond ça ne la regarde pas tellement.

Ordonnez, elle exécute. La porte se ferme dans un claquement rassurant, la bête en vadrouille ne sèmera pas la terreur dehors ce soir. Ses yeux fixés sur le sol, elle cherche sans trop savoir où regarder le reptilien dont elle entend les déplacements. Le son qu'il émet est métallique et Sélène met quelques secondes avant de réaliser que ça ne devrait pas être le cas. Ce lézard devient tout à coup très intrigant et le retrouver, une nécessité. Elle ouvre la bouche pour dire quelque chose sauf que...
Le reptile heurte finalement ses jambes, la faisant vaciller puis tomber lamentablement sur son postérieur. Elle pousse un petit cri douloureux et serre les dents dans une grimace. « Non je... N'ai pas mal » Mensonge éhonté. « Mais je crois que.. Je vais rester assise là quelques secondes histoire de... » Elle fait un geste de la main puis plisse les yeux «  Faire le point sur les lois de la gravité, tout ça. » Elle pousse un soupir, comme un petit rire et lance un regard à l'iguane qu'elle observe maintenant plus facilement. Il avait des prothèses, et... Et elle trouvait ça tout à fait merveilleux. La conception, la réalisation, elle observe tout son soûl les pattes robotisées du lézard. Le lézard dans les bras de McMillen.
Elle fixe donc tranquillement le torse d'un homme qu'elle ne connaît pas beaucoup avec insistance sans se soucier de trop savoir si ça peut paraître étrange...
« Il a des.. Prothèse a sa taille c'est.. tellement cool. »
Elle souffle ça les yeux brillant. La fatigue disparaît, ne reste que de la curiosité. Et beaucoup d'admiration.

Sélène pousse un long soupir de desespoir, avec cette envie soudaine de disparaître loin d'ici ; elle aurait certainement un bleu sur la fesse et l'impossibilité de rester assise pendant un ou deux jours après ça mais... Mais rien n'était plus cuisant que la honte qui empourprait ses joues en cet instant. Elle accepta, résiliente, la main tendue pour enfin se relever. Et, face à lui, elle se sentit ridiculement petite. Les mots qu'ils prononçaient finirent de l'enfoncer. Entendre quelqu'un que l'on respecte vous traiter d'apathique n'avait rien de très gratifiant.
Elle encaissa pourtant. Tant pis pour elle.
La jeune femme finit par relever la tête, haussant les épaules ; Fin de l'apitoiement. Ne pas laisser le brouillard prendre le dessus. Le ridicule ne tuait pas de toute façon, elle remit une mèche échappée dans son chignon. « Le travail mange mes heures de sommeil en ce moment malheureusement, je suppose que ça nuit à ma réactivité. »
Elle soutenait son regard avec tranquillité. L'incident était passé. « Et à ma décharge, je n'avais pas tellement l'intention de me retrouver par terre en entrant ici... » Sélène sourit à l'homme calmement et elle ne peut s'empêcher de lancer un regard vers l'iguane maintenant de retour dans son terrarium. Elle observe avec intérêt ses pattes et une question lui échappe alors même qu'elle pensait sortir d'ici deux secondes plus tôt.
« Vous les avez réalisé.. Entièrement ? Les prothèses ? Comment est-ce que vous avez réussi à les adapter à ses articulations ? N'a-t-il pas essayé de les arracher ? Est-ce qu'elles sont reliés à son système nerveux ? Combien de temps cela vous à pris de les concevoir ?.... »

... j'avais dit "une" question ? Autant pour moi. Après ça, promis elle s'en ira.

Elle parle, elle parle, elle parle et soudain le flot de paroles se tarit. L'imperceptible changement dans l'air, le regard ennuyé, un souffle plus appuyé que les autres. Si elle avait été dans de bonnes dispositions, peut-être aurait-elle réagi avant. Ses mains s'appuyèrent sur ses lèvres, avait-elle trop parlé ? La porte s'offrait comme une solution salvatrice alors qu'il la mettait tout à coup terriblement mal à l'aise. Son impatience la fit reculer d'un pas. « Oui je.. C'est un domaine que je n'ai pas encore vraiment eu le temps d'expérimenter. Malgré que je trouve ça passionnant, c'est plutôt à l'amélioration des dômes et à la robotique pure que l'on m'affecte...» Elle hausse les épaules. Un jour, elle travaillerait sur autre chose que des mécanismes de portes ou des drones de surveillances. Un jour elle créerait quelque chose de révolutionnaire, qui ferait avancer le monde des prothèses. Si elle arrivait à saisir sa chance, génie parmi les génie, à peine plus qu'une banalité. Et, passant outre ce sentiment de ne pas être vraiment désirée en ces lieux, elle se sent le besoin d'ajouter : « Votre travail remarquable. C'est très inspirant. »
Elle sourit doucement et s'incline légèrement. « Pardonnez mon manque de cohérence, je reviendrais peut-être poser mes questions lorsque j'aurais dormi.. »
Peut-être.
Malgré tout, Sélène était contente de s'être tant planté, peu importe ce qu'il pouvait en penser, elle avait vu quelque chose d'intéressant et une idée germait dans sa tête maintenant. Elle décrocha un sourire doux, quoi que fatigué, à son interlocuteur et se dirigea vers la porte avec lenteur. Lourde était la fatigue sur ses épaules. Cette rencontre fortuite lui laissait un drôle de goût dans la bouche.