« Confidence. »

Un, deux, trois, quatre, cinq… six, sept…

Eden poussait du doigt une à une de minuscules pierres, les faisant rouler sur la table en direction de leur tas respectifs. La pièce était plongée dans le silence. Installé dans la salle à manger, qui faisait également office de salon, le blond faisait face à son frère qui exécutait un travail similaire. Une pile d’éclats précieux s’amoncelait devant eux, et le plus jeune avait accepté d’aider son jumeau à trier le tout. Par couleur. Il devait les classer par couleur. Les bleus avec les bleus, les rouges avec les rouges, et ainsi de suite. Bien sûr, Eden ne s’attendait pas à ce que les bleus aient plusieurs teintes, et les rouges plusieurs déclinaisons. Il se trouvait donc avec une dizaine de petits tas devant lui, et passait de longues secondes à comparer chaque bijou pour déterminer à quelle teinte il appartenait.

En face de lui, Alexius était muet. Concentré sur son travail, il triait les pierres à une vitesse hallucinante. Son cadet l’observait de temps à autre, cherchant à suivre ses mains tandis qu’il classait les cailloux sans même réfléchir une seconde. De temps à autre, il se stoppait, attrapait sa loupe, une espèce de monocle grossissant qui lui donnait un air de robot qu’on croisait soit disant à Okeanos. Il observait avec attention l’éclat avant de décider de son sort. Parmi le lot, un certain nombre était abimé. Eden l’interrompait souvent, remarquant une anomalie. Une fois de plus son frère l’observait de plus près et la rejetait dans un tas de déchets.
– Celle-ci est fêlée.
– Celle-là est altérée. Regarde, elle a blanchit.  
– Il y a des impureté à l’intérieur, tu vois ?
Il n’obtenait jamais plus qu’un hochement de tête en guise de réponse alors qu'Alexius confirmait son expertise. Boudeur, il reprenait son travail sans rien ajouter.

Il avait beau être heureux de pouvoir aider son ainé – ça lui donnait un bon prétexte pour passer un peu de temps avec lui sans nécessairement se disputer – trier des cailloux n’avait rien de passionnant. Bien sûr, il les trouvait très joli, mais s’il passait un peu trop de temps à en admirer un, un raclement de gorge suggestif lui rappelait qu’ils n’avaient pas toute la nuit. Ils devaient avoir fini avant le retour de leurs parents. Une à une, Eden triait les pierres, calé sur le rythme du balancier de l’horloge qui donnait toujours à cette pièce une ambiance lugubre, surtout quand personne ne parlait.

Après deux heures de travail de fourmi, la dernière pierre rejoignit ses comparses déjà classées. Alexius reposa ses mains à plat sur la table, contemplant les petits tas formés au centre. Eden se rejeta en arrière sur sa chaise, se balançant légèrement sur deux pieds en soupirant de soulagement. Son frère ramassa un à un les groupements dans des petits sachets de velours avant de le remercier et de disparaître vers les chambres. Le plus jeune des jumeaux resta un moment seul dans la pièce, contemplant sans vraiment voir la rue par la fenêtre. Il y avait encore du monde dehors, c’est qu’il n’était pas si tard. La lumière commençait seulement à décliner. Il se leva, récupéra son chapeau à l’entrée et le vissa sur sa tête.

– Alexius ? Je vais au temple, tu veux venir ?

Pas de réponse. Le blond haussa les épaules et sortit. Démétrio grouillait, comme d’habitude. Il traça droit vers le temple sans se laisser distraire par le faste poussiéreux de la capitale. Là-bas, l’air était plus pur et il s’y sentait serein. Le travail de l’après-midi lui avait collé la migraine et il était frustré par le manque d’attention d’Alexius. Ce garçon était vraiment devenu aussi inintéressant qu’un vieillard encore puceau. Il parcouru en hâte les galeries qui le menait au temple, désireux de s’éloigner une bonne fois pour toute du brouhaha qui régnait en ville.

Il pénétra dans le temple, s’attendant à le découvrir désert. Il fut vite détrompé. Une silhouette familière tournoyait avec un balai. Lorsqu’elle remarqua sa présence, elle se retourna brusquement vers lui en s’appuyant maladroitement sur le manche de son outil. Eden gloussa silencieusement et dévisagea la jeune fille, rouge d’embarras. Il savait que Lyona était très pudique, et si elle acceptait parfois de chanter devant lui, elle ne devait pas apprécier de se faire prendre au dépourvu de la sorte. Souriant, il l’observa reprendre son ménage l’air de rien.

– Yo ! Désolé de t’interrompre ainsi, j’aurais du annoncer mon arrivée. S’excusa-t-il en se grattant l’arrière du crâne. Après tout il savait qu'elle était toujours là, comment n'avait-il pu pas se douter qu'il la croiserait sans doute. Il retira son chapeau comme à chaque fois qu’il entrait dans le temple, avant de lancer une regard curieux à la jeune femme qui balayait toujours le sol. Tu veux de l’aide pour le ménage Lyona ?