Plusieurs mois s’étaient écoulés depuis son arrivée sur ses terres étrangères et Hayden devenait de plus en plus accoutumé à l’ambiance apaisante qui régnait à Earthea. Là ou chasse remplaçait le combat et où les herboristes prenaient la place des forgerons, ce peuple arrivait à se démarquer par une absence constante d’ennui. Peu importe l’instant de la journée, le général avait toujours quelque chose d’intéressant à découvrir ou faire. Participant le temps d'une journée à des leçons sur la manière de chasser et l’autre pour discuter avec les habitants, il avait énormément de pain sur la planche. Disons que même après tout ce temps, son intégration n’était pas totalement terminée. Chaque jour était une nouvelle aventure, une expérience qu’il prenait le temps de vivre et de ressentir. Cette philosophie de vie ne lui avait jamais traversé l’esprit dans la ville royale. Étant trop préoccupé par le futur et  par son ascension, l’homme aux cheveux de blé en était venu à oublier le présent. Dorénavant, il revenait dans le monde courant grâce aux différences draconiennes qui lui avaient permis de réaliser plusieurs faits sur sa propre vie. Or, une seule énigme restait insolvable : Zackary. Hayden avait cet homme dans sa ligne de mire depuis un bon moment. Il tentait de découvrir quel genre d’être il était, mais une muraille de béton se dressait constamment sur son chemin. En réalité, il n’aimait pas du tout cela, mais il trouvait tout de même le phénomène intéressant. S’il devait comparer le chef des chasseurs à un homme qu’il connaissait, ce serait probablement Esel puisqu’en réalité, il ne le supportait pas. Or, ses fonctions lui demandaient de marcher outre son orgueil. S’il y avait bien une chose que le général craignait, c’était bien que Zack se ligue contre lui et annule tous les projets qu’il avait en cours.

-Si ce n’est pas le chef des chasseurs.

Sortant de sa cachette et faisant mine de ne pas avoir passé un bon moment à observer sa proie, Hayden arborait fièrement un sourire accompagné des vêtements que Yali lui avait fait.

-J’espère que je ne vous dérange pas.

Qu’il le dérange ou pas, Hayden ne s’en préoccupait aucunement. Il y avait des choses plus importantes comme le fait de comprendre pourquoi cet homme était tant fermé. Il ne pouvait cesser de se demander pourquoi tous les chasseurs le respectaient tant. Il ne semblait pas avoir de qualités distinctives évidentes. En fait, Zack semblait…mou, mais grâce à son expérience, Hayden savait qu’il devait se méfier de ce type de personnes.

-Ça vous dirait une balade pour qu’on discute de la pluie et du beau temps?

Hayden était anormalement insignifiant. Ses paroles ne lui ressemblaient pas, mais il le faisait délibérément. En fait, il tentait simplement de tirer une réaction de cet homme de plusieurs manières. Il devait le cerner pour le bien de ses projets.


©Cain

Passant d’une expression trop sympathique pour être réelle, Hayden devint dangereusement neutre. Un sérieux soudain s’afficha sur son expression alors qu’il venait de congédier le personnage qu’il jouait. Zach n’avait pas bronché. Il n’était pas si stupide qu’il semblait l’être, mais au moins, le général allait avoir de quoi se vanter. Réussir un coup important sans défi n’était pas un coup important. L’envergure d’un accomplissement se mesurait par le niveau de difficulté et Zachary mettait la barre haute.

-Vous avez raison.

Rapidement, son timbre de voix devenait de plus en plus neutre et terre à terre. Hayden se préparait mentalement et physiquement à déchiffrer le code de Vinci qu’était cet homme.

-Je dois m’occuper de la sécurité de la ville, mais avant tout de celle de nos deux nations.

Ne négligeant pas sa personnalité, Hayden toisa le chef du haut vers le bas avant d’afficher un air confiant.

-Et vous savez autant que moi la misère que nous éprouvons pour intégrer nos deux communautés.

Sans même attendre un signal indicateur ou un quelconque signe de délicatesse, Hayden tenta de se frayer une brèche. Il voulait créer une possibilité sans passer par des pseudomessages sinueux pour amortir le but de sa visite. Le général était direct et préférait éviter les stratégies casse-tête. Il y allait droit au but et vivait avec les conséquences.

-Je veux que les Caeliens puissent devenir des chasseurs et que les Earthéens puissent rejoindre l’armée. De mon côté, je peux agir, mais j’ai besoin de votre approbation pour m’assurer que les efforts seront mis des deux côtés.

Il semblait prétentieux et hautain, mais Hayden savait pertinemment que son idée avait un sens. Toutefois, il ne négligeait aucunement la possibilité d’un refus. En fait, il s’y attendait, mais tout ce qu’il dégageait décrivait le contraire. Il était une vraie carte, secrète jusqu’à la fin.



©Cain

De la positivité à la neutralité, les circonstances venaient de changer la tournure du dialogue. Or, avec ce changement était suivi d'un second, cette fois-ci du neutre à la négativité. L’air d’Hayden se crispa légèrement alors qu’il percevait les premières teintes d’euphorie chez Zack. Il comprenait de mieux en mieux les avertissements de Vesper. L’homme banal était une chose à considérer. Généralement, le général estimait les gens qui avaient une philosophie intéressante ou des gens qui étaient de simples coup de cœur. Zack n’entrait dans aucune des catégories. Il était l’énergumène qu’il n’arrivait pas à classer. Une larve ambulante qui bloquait le chemin, mais qui était beaucoup trop grosse et lourde pour la déplacer. Cet homme était une roche bloquant la sortie de la grotte. Il bloquait non seulement l’ouverture d’Earthea vers le monde, mais aussi une vraie paix.

-Qui êtes-vous pour décider du sort de votre propre peuple?

Se montrant sous un jour différent, Hayden fit quelques pas vers l’avant. Il voulait lui faire comprendre que plus il tentait de fuir, plus le général le talonnerait. La discussion n’était pas finie et il était hors de question qu’il lui tourne dos ainsi.

-Pour le moment, ce que je dis n’est qu’un rêve parce que votre égoïsme vous empêche de prendre la meilleure décision pour nos deux nations.

Fixant intensément le dos de Zack, Hayden voulait tout faire pour le pousser à se retourner. Son dos était intéressant, mais il n'était pas venu pour voir l'arrière de quelqu'un. Lors d'un dialogue, c'était la moindre des choses de regarder la personne avec qui la discussion avait lieu. Plus sérieusement, Hayden voulait juste qu’il le regarde pour pouvoir analyser ses moindres gestes et réactions. Il avait toujours profité de sa facilité à lire les gens pour insérer ses idéaux dans l’esprit d’autrui. Cette fois-ci, il n’arriverait pas à exécuter ce type de manège. Il devait vraiment le convaincre.

-Après, les gens se demandent pourquoi les trois contrées se sont fait la guerre. Sincèrement, je préférais essayer et faire la guerre parce que la paix n’a pas marché que de vivre dans l’hypocrisie. Au moins, en essayant et en obtenant un refus catégorique de la population, l’envie de vous fracasser le crâne serait légitime.

Hayden était devenu mauvais et perdait son calme? Pas vraiment, il tentait simplement d’employer une autre méthode. Au fond de lui, il le pensait, mais à quel degré? Telle était la question.


©Cain

Pour une des rares fois, le sang du général commençait à bouillir. Deux têtes fortes s’affrontaient et il ne pouvait retenir l’effervescence de plaisir qui commençait à naître. Pour une fois, il ressentait une teinte d’opposition mentale. Par contre, le tout était encore négligeable et il était suffisamment armé pour balayer du regard les récents dires du ‘’pilier d’Earthea’’.

-Foutaise!

Haussant légèrement le ton, Hayden ne put s’empêcher d’échapper un rire provoqué par l’excitation. S’il y avait une chose qu’il aimait, c’était bien replacer les pendules de ses adversaires. Chaque fois qu’il en avait la possibilité, une joie l’envahissait. Il devait probablement être horloger dans une autre vie.

-Vous vous dites l’un des fameux ‘’chefs pilliers d’Earthea ’’ et vous dites être là pour maintenir le peuple en paix alors que vous n’êtes même pas en mesure de comprendre la guerre froide qui existe depuis un bon moment.

Hayden n’était pas dupe, il savait que la conversation s’envenimait de plus en plus, mais il n’allait pas pour autant mâcher ses paroles. Tout comme Zack lui répondait de manière indécente, il comptait lui rendre la monnaie de sa pièce.

-Sincèrement, quel genre de chef êtes-vous si vous ne réalisez même pas ce qui arrive autour de vous? Ce n’est pas parce que les gens ne se coupent pas la tête que nous ne sommes pas en guerre. Si ce n’était pas de l’obligation que les trois territoires ont de collaborer ensemble pour l’échange d’expertises et de victuailles, nous serions probablement tous en train de nous insulter dans nos coins respectifs.

Commençant soudainement à perdre son plaisir, le général assurait sa domination. Il était hors de question qu’il laisse une personne aussi égoïste et insoucieuse prendre les devants dans un concours de politique.

-Sincèrement, je me vois déçu. En arrivant sur Earthea, j’ai rencontré quelqu’un qui m’a montré les belles facettes de cette terre. Par contre, je ne pensais pas que le fameux peuple libre était aussi coincé que l’élite Caelienne.

N’hésitant pas à se lancer dans un monologue sans fin, Hayden serra son poing avant de l’envoyer sur une cime pour ajouter de l’impact à ses paroles. Il était mécontent et son ton était plus qu’expressif. Ce geste n'était aucunement pour intimider Zackary. Hayden en avait simplement besoin pour avoir la sensation d'être encore un être humain. Eh oui, il avait l'intention d'assassiner les moindres arguments de cet homme.

-C’est mignon. Certains se vantent d’avoir survécu, d’autres se vantent de s’être cachés et d’autres se vantent d’avoir esquivé le problème. Au final, les trois situations sont aussi médiocres, car aucune des trois contrées n’a vraiment affronté le danger. Vous l’avez supporté, ne me déblatérez pas vos conneries.




©Cain

Soudainement, l’atmosphère prenait une tournure totalement différente. L’homme étrange et calme devenait l’agresseur, menaçant le général de lui couper la gorge. Plusieurs auraient craint pour leur vie, mais Hayden en avait vu d’autres. Le nombre de fois où il avait eu une arme pointée sur sa tempe dépassait l’entendement. À force de dire aux gens ce qu’ils ne voulaient pas entendre, il fallait bien accepter de payer le prix d’une telle franchise. Pire encore, Hayden était honnête, mais surtout cru dans ses propos. À l’instant, il ressentait une fierté vivifiante. Si certains se nourrissaient de guerre selon Zackary, d’autres comme Hayden se nourrissaient des émotions d’autrui. Plus il faisait réagir les gens et plus il sortait gagnant de la situation.

-Mettre la guerre sous le compte de la nature humaine? Sérieusement?

Alors que plusieurs s’attendaient à une indignation puissante, ce fut un rire grave qui traversa le corps du guerrier. De tout son être, il prenait le soin de vivre la blague que venait de lui offrir le chef des chasseurs. Si mettre les erreurs sous le compte de la nature humaine était stupide, rejeter la faute sur l’autre l’était encore plus. Tout était toujours la faute du voisin, mais personne n’osait se questionner et se mettre à la place de l’autre.

-Mais une chose à la fois…

Si le général se précipitait dans le vif du sujet, il risquait de perdre le contrôle de son rire et de se retrouver dans une séance d’abdominaux précoce. Sa séance d’entrainement était prévue dans deux jours, pas aujourd’hui.

-J’ai peut-être une grande gueule, mais j’ai au moins la décence d’esprit de ne pas utiliser de stéréotypes parce que je suis en colère.

Se remettant soudainement à lever le ton, Hayden tentait de créer une linéarité et un fil conducteur dans ses propos.

-Je veux peut-être changer le monde, mais au moins je tente d’explorer d’autres possibilités avant de lever les armes pour obtenir ce que je veux.

Marquant la fin de l’effet escalier, le général apporta sa plus forte réplique.

-Ah et je suis probablement juste chargé de la sécurité, mais tu sais que je n’aurais pas à le faire si des idiots ne pensaient pas que la guerre rendait les gens humains. Maintenant, enlève cette lame de ma gorge avant que je t’envoie rejoindre les gens aux culs d’argent que tu aimes tant.

Le rire s’était transformé en regard perçant et sérieux. Ses dires étaient précis et dévoilaient ô combien il ne supportait pas qu’on tente de s’imposer. Hayden n’était pas docile et ne pouvait pas être dressé. Là où il lui arrivait d’être calme, ce n’était que pour évaluer la situation. Dans le cas échéant, il ne pouvait baisser la tête face à Zack. Il attendait qu’il baisse sa lame alors qu’un silence pesant s’installait.



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En voyant Zackary s’éloigner, Hayden ne put s’empêcher de retenir un nouveau fou rire. Cette démarche et ses paroles ne pouvaient signifier qu’une seule chose : il en avait marre. Jamais le général n’aurait cru qu’il réussirait à sortir un chef de sa zone de confort avant autant d'aisance. Celui-ci semblait si mou et impassible qu’il ne se serait jamais douté qu’une colère pertinente bouillait en lui. Plus Hayen y réfléchissait et plus il se disait que cette animosité provenait probablement d’un fait vécu ou d’un endoctrinement lié à la culture. Si tous les gens de cette contrée pensaient comme lui, les Earthéens étaient probablement les êtres les plus pacifiques, mais il devenait la nation la plus xénophobe.

-Je ne suis pas naïf, je n’ai simplement pas d’amour propre…

Levant soudainement le ton pour être certain que le chasseur capte ses propos, le blondinet martela ses dernières paroles avec un marteau céleste. Si les gens d’Eathéea étaient des gens très réactifs et vifs à exprimer leurs émotions, Hayden se demandait si un de ses ancêtres n'était pas de cette contrée. Après tout, la répartie avec laquelle il avait désarmé plusieurs ne provenaient probablement pas du peuple conservateur dont il venait.

-Je n’avais pas assez d’amour propre pour me retenir d’aller voir un chef aussi centré sur lui-même!

Prenant soudainement conscience de la tournure qu’avait prise la conversation, Hayden ne put s’empêcher de faire taire son sourire. Le moment actuel n’était nullement réjouissant. Au contraire, il était frustrant. Même s’il ne prenait pas à cœur les propos de Zackary, il commençait déjà à effectuer un sondage de sa propre personne. S’il y avait une chose qui lui avait permis d’analyser correctement les gens, c’était bien sa capacité d’introspection phénoménale. Cette intelligence avait fini par se traduire jusqu’à atteindre un niveau où il pouvait prendre conscience de la manière dont se sentait une personne. Pourtant, malgré la courte discussion, Zackary laissait toujours un vide chez Hayden. Le général tentait par tous les moyens, mais il n’arrivait toujours pas à cerner cet homme qui semblait tout sauf complexe. Sa manière de parler était simple, sa manière d’agir aussi, mais quelque chose clochait. On aurait dit que son esprit était indéchiffrable, comme s’il était un mystère qui n’était pas encore au courant de sa nature. En fait, plus Hayden y pensait et plus il se heurtait à un mur : le manque de connaissance.

-D’ici le temps où quelqu’un coupera ma langue, j’espère que tu prendras conscience du camp avec lequel tu travailles…

Aujourd’hui, Hayden n’était pas venu pour la proposition. Il venait tout juste de réaliser qu’il était venu pour lui. La discussion aurait pu s’arrêter au premier refus, preuve que les affaires Atlasiennes étaient son objectif secondaire. Inconsciemment, il était venu pour avoir des indices supplémentaires ce dirigeant. En attendant leur prochaine rencontre, il s’était amusé à glisser une parole qui pouvait être interprète de multiples manières. Il voulait voir comment la tête d’ampoule allait encaisser et s'il allait finir par se trahir et révéler des informations importantes sur sa manière d'être.

©Cain