Les épaules d'une silhouette frêle tressautèrent sous ses yeux. Quelques mètres les séparaient, mais une distance infiniment plus grande les avait réduits à des étrangers. Dovev baissa les yeux. Un couloir vide happa son corps. Une marche lente. Le regard fixe. Les bras dans le dos.

C'était une heure pour crier. Pour hurler. Pour faire ce qu'il n'avait jamais fait.

Une nuque surmonté de cheveux courts coupés en carré s'invita dans son esprit. Ses pas ralentirent leur cadence. Ils s'arrêtèrent enfin. Le silence, fidèle compagnon, l'enveloppait. Au début, il l'avait craint. Puis avec le temps, il avait apprivoisé. Enfin l'avait-il apprécié. Mais sa présence en ces lieux n'avait que peu de liens avec la quiétude du temple. D'un pas tranquille, Dovev se remit en marche. Sa posture identique. La longue mèche châtaine qui battait dans son dos chatouillait la paume de ses mains. Je devrais me faire couper les cheveux, songea-t-il. Chose qu'il rechignait conscient qu'un malaise latent se camouflait derrière ce potentiel changement. Il grimaça discrètement. Il les couperait si ses activités professionnelles l'exigeaient. Un jour.

Son regard erra sur les murs. Les observer lui fournit une distraction nécessaire. Son esprit se perdit dans les dédales de ses souvenirs, cherchant à comparer la moindre trace présente avec une image passée. Ses yeux effleurèrent les fresques. Elles l'émurent. Comme à chaque fois. Quelques minutes plus tard, il accéléra le pas avec l'aisance propre à ceux qui considéraient le temple comme une seconde demeure. Au fond, n'y avait-il pas laissé un petit bout de son âme le jour de ses huit ans ? À son arrivée devant le grand vitrail, ses prunelles embrassèrent le vide. Son cœur oscilla entre soulagement et perplexité. Ses bras se décroisèrent et sa main droite sortit une petite boîte usée. Il l'ouvrit avec précaution, en sortit une carte et regarda Okeanos. Approuvait-il ou désapprouvait-il ?
Dovev préférait croire que leur dieu fermait les yeux. Il y avait plus grand pêché que s'occuper des joueurs mal avisés.

Papa, où vont les morts ?
Si un jour, Okeanos le veut, nous créerons un homme immortel.

Son père avait éludé sa question comme toutes les autres. Et comme à chaque fois, il avait mis en avant ses travaux, ses recherches, ce pour quoi il vivait.

— Mais les hommes doivent mourir.

Il murmura ces mots, les yeux rivés sur le vitrail. L'immortalité ôtait tout sens à l'existence. Dovev examina le paquet de cartes, le rangea dans sa poche et croisa les bras. Il n'avait pas choisi ce lieu au hasard. Ici était le début de tant d'histoires.
Et il espérait bien qu'Okeanos l'éclaire dans sa décision à prendre.

Un cri de haine, seul ce son l'avait amené en ces lieux. La haine le suivait, où qu'il aille, où qu'il se cache. Quoi qu'il fasse, la haine le suivait, à la trace, comme un détective sur les traces d'un criminel. Une fois encore, ces cris lui disant de disparaître, de quitter cette endroit lui était adressé. Comme un rituel maudit dans le quel il était perdu. Il était pour un aussi bien un traître que pour un autre un intrus. Pour eux, il n'avait pas sa place ici, à Okeanos. Il était un Svetlana, il était un prince du ciel. Il n'avait rien à faire ici, sous l'océan. Pourquoi donc, lui avait-on permit de rester ? Voila ce qu'ils ce demandaient tous.

Mais maintenant, il était libre. Il n'était plus prisonnier de ce destin sans intérêt. Il n'était plus ce gosse enfermé dans un temple. Pourtant, il restait un Svetlana, il restait un prince de Caelestis aux yeux du monde. Mais lui, que voulait-il ?

Il voulait être accepté, être lui même. N'être que Lindberg.

Il lui arrivait de plus en plus de venir au tempe d'Okeanos, comme si, ici plus personne ne pouvait le haïr, comme si, il n'était plus qu'une âme parmi tant d'autres. Comme si, ici il n'était plus capable de voir la haine, ni même de l'entendre. Il regardait la pièce, mais pas les habitants. Eux, il les oubliait, seulement pour ce protéger.

Lindberg savait bien qu'ils n'aimaient pas le voir ici, qu'ils pensaient qu'il souillait le temple. Il n'était qu'un traître pour Caelestis, et il n'était qu'une nuisance pour Okeanos.

Un pas vers l'avant, il marche et se déplace. Doucement, lentement. Comme une pause divine, un moment serein.

— Mais les hommes doivent mourir.

Un regard en direction de ces paroles, comme appelait par celle-ci. Absorbé par une simple phrase pourtant si logique.

— C'est logique, tu né, tu vis et puis, tu meurs. Ensuite on t'oublie comme si ton existence même ne valait pas la peine d'être su alors que certains sont éternels, simplement car on se souvient toujours d'eux.

Lindberg venait de ce choquer lui même. Lui ne parlant jamais comme ça aux autres, un pas de plus le prince reconnait pas personne à qui ses paroles sont adressés.

— Dovev.

Il parle, sans même savoir si l'autre homme l'entend. Il parlait juste, comme ça. Et c'était vraiment très con.

Ses épaules se soulevèrent avant de s'abaisser aussi vite. Un soupir indiscret lui échappa. Un homme ne devait pas toujours dépendre d'un dieu. Quand même. Mais un esprit pouvait s'égarer sous les sirènes du doute et des multiples tentations. Dovev recula d'un pas. Son corps esquissa un demi-tour. À peine eut-il tourné que ses yeux s'agrandirent légèrement.
Ses bras se décroisèrent pour mieux disparaître dans son dos. Le regard se détacha de Lindberg. L'espace d'un instant, des interrogations submergèrent son cerveau : depuis quand le jeune homme était-il là ? Avait-il signalé sa présence ? Ou attendait-il la fin de sa contemplation ? Le caractère récurrent de cette situation le contraria. Pendant quelques secondes. Pas plus. Pas moins.

Dovev mordit l'intérieur d'une joue, sonda les traits du jeune homme et se détendit. Aucun signe d'agacement ou d'impatience n'apparaissait. A priori.

— Lindberg ?

Un seul mot. Une simple question murmurée avec prudence. Il espérait avoir réussi à maîtriser sa voix. Ses propres inflexions lui étaient étrangères. Seuls les mouvements de ses lèvres et de sa bouche lui étaient perceptibles. Le reste était laissé à l'appréciation des autres oreilles.
S'il connaissait bien l'identité de son interlocuteur, un sous-entendu se baladait entre les lettres. As-tu dit quelque chose ? Pour certaines raisons, il n'aimait pas énoncer clairement ces propos. Un discret sourire frémit sur ses lèvres. Une manière comme une autre de présenter des excuses. Si Lindberg le prenait mal, et bien… Il le prendrait mal. Ça ne l'empêcherait pas de dormir en tout cas.

Ses lèvres restèrent faiblement entrouvertes. Elles attendaient. Pas question de parler sans être sûr de n'avoir rien manqué. Il jeta un bref coup d'œil autour d'eux et se demanda comment Lindberg vivait son entrée dans un autre lieu de culte. Un de ses bras se dégagea. Il se leva, resta en l'air et finit le long de son corps. Geste interrompu au sens connu de lui seul.

Calme, patient, il attendait que l'autre le remarque, où ce laissait il allez un petit moment à la contemplation des lieux qui l'entourait. Un soupir retentit dans le temple, Lindberg porta une nouvelle fois son regard sur Dovev, il lui avait parlé. Mais c'est vrai qu'il ne pouvait pas l'entendre, tant mieux en un sens, vu l'absurdité qu'il avait dite.

Il remarqua enfin le prince, qui le regardait toujours de ces yeux d'or. Il attendait patiemment, calmement que Dovev lui dise un truc, s'il en avait envie. Son nom fut prononcé tel une interrogation secrète, depuis quand es-tu la ? M'as tu parlé ? Et tout autres questions qu'il ne pouvait peut être pas deviner.

Il parla lentement, histoire d'aider le garçon à lire sur ces lèvres. Qu'il puisse le comprendre. Au pire des cas, il écrirait pour ce faire entendre.

— Hm, un connerie sans importance. J'en ai presque honte. Désolé de t'avoir dérangé, Dovev.

Une question indirecte ce posé aussi, parlait-il assez bien pour que l'autre homme le comprenne ? Où était-il allait trop vite ? Il ne savait pas, dans tout les cas, il ferait un effort. Lui, il est en parfaite santé, alors ce n'est pas a Dovev de s'emmerder à le comprendre.

— Tu es la depuis un moment ? Ah... Si je dérange vraiment hésite pas à me le faire comprendre.

Ca serait certainement vite fait, il savait bien que très peu de monde l'appréciait ici. Alors, le sourd pourrait très bien lui dire de partir, souillait-il réellement le temple d'Okeanos par sa propre présence ?

Il regarda le vitrail, il était d'une beauté. Un jour il irait voir le temple d'Earthea, juste par curiosité. Même Earthea doit être plus juste que Caelestis, pensa le prince. La haine le suivait où qu'il aille, quoi qu'il fasse elle était la, elle le guettait comme si elle voulait le ronger peu à peu. Lui faire perdre ce qui avait de beau dans sa liberté.

Cette liberté dont il rêvait, ce rêve qu'il réaliserait à tout pris. Le monde pourrait le haïr, l'humilier, vouloir sa mort. Il serait le seul à décider de sa voie, de ses choix et de sa vie.

Le seul.

Une bonne communication fonctionnait dans les deux sens. Et Dovev ne faisait des efforts que si l'autre en faisait. Pas par paresse. Au fond, il fallait juste que ça en vaille la peine. Ce qui signifiait aussi que toute personne le prenant pour un demeuré pouvait s'asseoir sur sa coopération. Mais à Lindberg, il offrit un sourire paisible. Une façon de le remercier de sa patience. Pourtant, ses sourcils se haussèrent très vite. Une connerie sans importance ? Les coins de ses lèves s'affaissèrent brièvement. Ou était-ce quelque chose de peu glorieux ? Il remballa ses doutes, conscient que ça n'était pas ainsi qu'on mettait quelqu'un à l'aise.

À la place, il secoua avec douceur la tête de gauche à droite.

— Non, ne t'inquiète pas et je réfléchissais.

À des sujets qu'il valait mieux éviter. Et qu'il ne pouvait pas avouer à n'importe qui. Comment dire clairement qu'on craignait une menace interne et bien plus dangereuse que les rebelles ? Des avancées qui ne seraient pas sans conséquences à un moment ou un autre.

— Est-ce que tu penses que nous fuyons nos souvenirs ou nous-même ? Ou que nous nous cherchons ?

En dépit de sa question, il ne visait pas Lindberg. Au contraire. Cette interrogation touchait le plus profond de son âme. Mais la réponse de Lindberg l'intriguait. Pourquoi le nier ? Prendre certains virages ne signifiait pourtant pas que le résultat était celui espéré. Son regard s'attarda sur le jeune homme pour se reposer sur le vitrail. Ses yeux coulèrent à nouveau en direction de son interlocuteur. Tête penchée sur le côté, il passa une main dans ses cheveux.

— J'espère que je ne crie pas.

Si c'était le cas, il en était sincèrement désolé. Mais parfois, il parlait si bas que sa voix ne ressemblait qu'à un souffle. Toutefois son esprit pensait rarement à ce cas précis.

Il ne détesté pas Dovev, en vérité il n'en pensait trop rien.

Même si, celui-ci n'avait pas non plus l'air de le haïr, ça le rassurait un peu, de voir qu'il y avait de plus en plus de monde dans ce cas. Même s'ils étaient très peu nombreux, en soit.

Il était hait, détesté par le monde, il est donc évident que ceux n'ayant pas de haine pour lui était des cas à part. Parfois ils étaient dans le même cas que lui, et parfois ils étaient juste des gens n'en n'ayant rien à foutre de leurs origines.

Il pensait que c'était peut-être le cas de Dovev. Le garçon en question le questionna. Tout à bord surpris, il se mit ensuite à réfléchir à une réponse possible.

— Un mélange peut-être, certains ce cherche tout en essayant de fuir leurs passé. Comme si, comme ça ils pouvaient tourner la page. Etre une nouvelle personne. Je pense donc, qu'on fuit nos souvenirs, nous même tout en ce cherchant. Enfin, ça dépend surtout des personnes, non ?

Il regarda son renard un instant puis se retourna vers Dovev, quand celui-ci demanda presque indirectement s'il ne parlait pas trop fort. Lindberg sourit et lui fit signe de négation. Il parlait tout à fait normalement, c'était presque étonnant.

— Hm hm, tu parles normalement ne tant fait pas.

Kitsune se leva et alla vers Dovev, se frottant a ses jambes. Le renard était rarement calin avec les autres, sauf si ceux-ci n'avait pas l'air dangereux ou mauvais. Il s'approcha pour le faire revenir, mais rien. Le renard était têtu.

— Ki..tsu arrête voyons ! Hoy, ne le dérange pas.

Il regarda l'autre et s'inclina un peu pour s'excuser du comportement de son renard.

Quelques mots lui échappèrent, mais il comprit l'essentiel. Dovev secoua pensivement la tête. Oui, ça dépendait sûrement des gens. Peut-être que son esprit cherchait une explication à ses doutes. Des égarements qu'il ne se voyait même pas confier à un autre membre de la police secrète. Un comble, non ? Ses pensées occultaient les origines du jeune homme. Il n'y avait plus que le présent, et un futur flou.

Une sensation contre ses jambes lui fit baisser la tête. Un petit sourire joua sur les lèvres de Dovev. Pourtant, un voile presque triste recouvrait ses yeux. Ses paupières se baissèrent un peu ; ses lèvres restèrent figées.

— Ce n'est pas grave…

Comme pour prouver ses paroles, il se pencha et laissa ses doigts glisser sur la fourrure de l'animal. Les animaux n'avaient jamais été bien vus chez lui. Source de distraction, responsabilités qu'ils étaient incapables d'assumer, leur père avait toujours des arguments. Aussi justes les uns que les autres. Et comme animal de compagnie ou confident, on faisait mieux qu'un frère aîné à moitié vendu à la cause paternelle.
Dovev releva la tête. Ses yeux se plantèrent dans ceux de Lindberg. Ses élans de curiosité restaient rares, le plus souvent mesurés. Mais cette fois, il s'écouta.

— Est-ce qu'il a grandi avec toi ? Ou l'as-tu élevé en cachette ?

Ce qui se faisait ou ne se faisait pas dans un palais, Dovev en avait aucune idée. Seules les manières des Caelestis l'aidaient à se forger une image de la famille royale. Un peuple ne ressemblait-il pas parfois à ses dirigeants ? Sa propre patrie se rappela à son bon souvenir ; il secoua la tête. Pas maintenant. Pas ici.

Il ne savait pas comment s'y pendre avec Dovev. Pas parce qu'il était sourd mais plutôt car il ne savait pas ce qu'il pensait. Haïs par beaucoup à Okeanos tout comme à Caelestis, traître de sa nation, il ne savait plus comment converser avec autrui. A son grand soulagement, Dovev n'avait pas l'air de désiré ardemment son départ du lieu et continua même la conversation avec lui.

Son renard s'allongea contre le pied du sourd, se mettant en boule. Lindberg n'y fit pas attention et écouta la question de con camarade. Il baissa les yeux, n'ayant pas vécu au palais, il n'allait peut-être pas ravir le jeune homme devant lui.

« Je n'ai pas vécu longtemps au palais. » Il se gratta alors la nuque tout en continuant. « Alors il a grandit avec moi, les prêtres étaient assez ouvert sur le fait que j'adopte un petit renard. Et vu que j'étais bien souvent seul, il m'a toujours tenu compagnie. »

Il s'accroupit pour caresser le pelage de son ami, et le soulever du pied de l'Okeanos ne voulant surtout pas le déranger.

« Tu n'as pas d'animal toi ? » Il avait parler un peu trop vite, enfin il pensait alors il répéta. « Pardon, je suis aller assez vite... N'as-tu jamais eu d'animal toi ? » Il sourit, même si ça ne servait pas réellement, son masque cachant le bas de son visage.