Son rire enfantin se fit entendre dans toute la rue et passait au-dessus des avertissements de son aîné, maintenant loin derrière elle, qui la sommait de faire attention à elle et de ne pas revenir trop tard. Comme à son habitude, Helden n’en écouta pas la moitié, préférant sautiller jusqu’à l’allée. Pour aujourd’hui, on leur avait donné quartier libre jusqu’à la soirée ; c’est au crépuscule qu’ils donneront leur spectacle. D’ici là, ils pouvaient vaquer à leurs occupations et bien entendu, la danseuse avait sauté sur l’occasion pour se faire une petite séance de shopping.

Helden a un certain faible pour les vêtements des habitants de Caelestis. Ils sont extravagants, beaux, colorés, chers ! Ça lui donne l’impression de devenir une princesse dès qu’elle ose porter l’une de leur robe. Ce n’est pas la première fois qu’elle visite ces rues, ces magasins, mais elle est toujours aussi émerveillée, comme si elle le découvrait tout juste.

Ses grands yeux rubis se posaient ici et là, lorsqu’elle choisit une boutique elle la dévalisait du regard, n’hésitait pas une seule seconde pour passer son temps dans les cabines à essayer mille et une tenue. Oui, ce genre de petit moment, elle les adore, même si elle aurait préféré ne pas les passer seule. Bien sûr, elle n’est pas la seule fille de la troupe, mais les autres ne s’intéressent pas beaucoup à la mode, sont trop vieilles ou trop jeunes. En gros, elle n’a aucune partenaire de shopping – et elle doit bien avouer que quelque part ça la rend un peu tristounette.

Sortant d’un énième magasin, un sac au bras après avoir fait une belle trouvaille à un prix raisonnable, elle fredonna en cherchant une nouvelle victime. Puis son regard tomba sur elle. Sa tête se pencha un peu sur le côté, l’air intriguée. Devant une boutique, ma fois intéressante, il y a une jeune femme avec un air hagard. Y a-t-il quelque chose de spécial avec ce magasin ? Un petit coup d’œil lui affirme que non. Ce n’est rien d’autre qu’une boutique parmi tant d’autre.

« Vous n’arrivez pas à choisir ? » Lui fit-elle une fois arrivée à sa hauteur, lui adressant un petit sourire.

Bien que la dame qu’elle aborda fut plus grande qu’elle, Helden ne put s’empêcher de venir voir ce qu’il se tramait dans sa petite tête rousse. Elle avait l’air perdue mais pas dans le sens où elle aurait besoin d’aide. Pas comme si elle ne retrouvait pas son chemin. Plus comme si elle était confuse. Mais pour quelle raison ? Elle s’étonna aussi de la couleur de ses cheveux – la seconde personne qu’elle croisait avec une crinière pareille, et elle en restait toujours aussi admirative. Tant de couleur, c’est magnifique !

En entendant la réponse qu’elle lui donna et voyant les légères rougeurs sur son visage, la danseuse ne put retenir un petit rire. Loin d’elle l’envie de se moquer, elle était attendrie par son comportement. C’était si étrange de croiser une femme avec un air si … comment dire. Sauvage ? Non. Mais elle semblait savoir se débrouiller par elle-même, n’avoir besoin d’aide de personne, sachant se défendre et être indépendante. Exactement ce qu’Helden aspire à être. Quoiqu’elle se préfère dans sa version bien moins frigide et extravertie.

« Comment ne peut-on pas avoir le temps pour ça ? Sembla s’indigner la nomade. Vu votre allure, vous êtes soldat, pas vrai ? Ce n’est pas pour autant que vous devez mettre votre féminité de côté ! »

Elle posa ses poings sur ses hanches, ses joues légèrement gonflées. Oui, elle avait l’air d’une gamine mais ça ne lui importait que peu. Quelques secondes après, ce fut un grand sourire qui illumina son doux visage ; elle venait d’avoir l’idée du siècle. Même si elle ne le souhaitait pas, elle ferait d’elle sa nouvelle amie du shopping ! Prête à ignorer toutes les protestations, la blanche lui attrapa le bras et la tira à l’intérieur avec elle tout en lui balançant ces quelques mots (qui n’avaient rien de rassurant) :

« Vous avez l’air d’avoir du temps, là. C’est parfait ! Nous allons en profiter pour vous initier à "ce genre de chose" ! » Ria-t-elle.

L’entrainant avec elle dans la boutique, elle zieuta tout ce que ses yeux pouvaient capter, cherchant du regard ce qu’elle pourrait bien faire essayer à la jeune femme. Pour débuter, il ne fallait rien de trop extravagant ou de trop rose. Il fallait y aller en douceur – et elle s’y connaissait, la petite !

« Qu’est-ce que vous dîtes de cette tenue ? Hum… Ou celle-ci ? » Mais trop tard, Helden était déjà trop absorbée par les tissus par milliers qui se présentaient à elle.

Helden se doutait bien que la rousse tenterait de se défiler ; il suffisait de voir son air de petit chiot épeuré pour le deviner. Cependant, il en fallait bien plus pour la faire abandonner ! Elle lui offrit l’un de ses plus grands sourires, ayant pour but de la rassurer et de la familiariser plutôt que de l’effrayer :

« Tu peux me tutoyer ! Oh, et appelle-moi Helden, ça me fera plaisir. » Dit-elle en lui prenant les mains.

Une seconde plus tard, elle virevoltait déjà entre les dizaines de robes, ses pas se faisaient si légers et ses gestes fluides que non seulement on avait l’impression qu’elle flottait, mais qu’elle mêlait de la danse à des mouvements pourtant banals.
Elle revint vers la jeune femme les mains prises par une somptueuse robe aux couleurs pastels, rien qui n’agressait les yeux, quelque chose de simple, féminin, élégant, qui ne dévoilait pas plus qu’il n’en fallait et qui ne gênait pas dans les mouvements.

« Qu’en penses-tu ? Enfin, comme ça, ce serait plutôt dur à dire… Ne voudrais-tu pas l’essayer ? » Encore une fois, elle ne prit pas le temps de l’écouter et la poussa vers une cabine d’essayage avec la tenue. Derrière le rideau, elle lui lança : « Tu n’as pas intérêt à sortir de là-dedans sans t’être changé ! »

Peut-être qu’Helden s’amusait un peu trop ?

Helden enregistra le nom complet de la jeune femme, le faisant rouler sur sa langue en silence une bonne dizaine de fois pour être certaine de s’en souvenir correctement, jusqu’à ce que cette même demoiselle disparaisse derrière le rideau. Elle fut impatiente de voir le résultat, tapotant le sol du pied à chaque seconde, trouvant le temps excessivement long. De l’autre côté du long tissu, elle entendait Rhéa qui bougeait, qui se débarrassait de son attirail pour revêtir sa trouvaille.

Puis un cri retentit. Intriguée et inquiète, Helden appela Rhéa plusieurs fois pour savoir si tout allait bien. N’obtenant aucune réponse, elle tira légèrement sur le rideau afin de voir si elle n’avait pas besoin d’aide. En apercevant la robe sur la silhouette de la jeune femme, elle sut qu’elle pouvait tirer entièrement le rideau sans risque. Un léger rire s’échappa de sa bouche étirée en un long sourire face au spectacle adorable qu’elle avait droit.

« Cette robe te va encore mieux que je ne le pensais ! » S’exclama-t-elle en posant ses mains sur les épaules de Rhéa.

Elle observa le reflet de la rousse, de haut en bas et de bas en haut. Oui, cela la mettait en valeur mais n’en faisait pas trop. Ou alors cela en faisait trop pour le cœur du soldat ? Affichant une petite mine inquiète et désolée, elle s’adressa de nouveau à elle :

« Est-ce que tout va bien ? Je suis allée trop vite, c’est ça ? Pardooon, je me suis laissée emporter… »

Helden fut rassurée par les paroles de la rousse. Elle pensait en avoir trop fait – à vrai dire, elle était tellement joyeuse à l’idée de s’être trouvée une copine de shopping qu’elle en avait oublié de faire attention à cette même amie. Elle s’était préoccupée de sa propre satisfaction et cela contredisait ses principes.
Néanmoins, un sourire éclaira son visage lorsqu’elle lui répondit :

« Ça devrait être une habitude, pas quelque chose d’exceptionnel ! Regarde comme tu es belle, comme ça. Ça te plait, non ? »

Aux yeux de la danseuse, elle avait une allure à porter ce genre de vêtement. Mettre en avant ses attributs, s’affirmer en tant que femme. Elle était belle, c’était normal que de vouloir le faire savoir au monde entier. Ou en tout cas, c’était ainsi que fonctionnait l’esprit de la nomade.
Elle relâcha les épaules de Rhéa, s’éloignant d’un ou deux pas en arrière et lui fit part de sa nouvelle idée :

« Si celle-ci ne te plait pas, on peut chercher autre chose. Avant tout, il faut que tu te sentes à l’aise, après tout. Si tu es toute tendue, ça n’aura pas de bel effet, n’est-ce pas ? »

Helden posa un doigt sur son menton, le regard toujours braqué sur le rideau derrière lequel avait disparu Rhéa. Elle y était sans doute allée un peu trop fort et elle s’en voulait un peu, tout de même. Que pouvait-elle donc faire pour se rattraper ? La nomade profita du moment où sa nouvelle amie remettait son armure pour réfléchir à cette question.
Peut-être pouvait-elle l’amener à faire ressortir sa féminité en lui demandant des conseils pendant qu’elle fait ses propres essayages. Oui, ça pouvait être une idée ! Si celle-ci ne fonctionne pas… Eh bien, elle réfléchira à ça au moment venu !
A force de rester plantée au même endroit, une vendeuse s’approcha d’elle pour lui demander si elle avait besoin d’aide. Poliment, elle lui répondit être en train d’attendre son amie. Lorsque celle-ci réapparu, Helden lui attrapa la main doucement et l’emmena de nouveau à travers les différents rayons de vêtements.

« Tu vas m’aider à choisir, alors ? C’est toujours mieux lorsqu’on a l’avis de quelqu’un d’autre ! » S’exclama-t-elle, joyeuse.