Hayden voulait se changer les idées après le double échec qu’il venait d’essuyer à Caelestis. Il avait besoin de se ressourcer et alors qu’il espérait passer inaperçu, il s’était facilement fait reconnaître. Quoi de mieux que de rencontrer l’homme qui avait probablement eu le plus de préjugés envers Hayden à leurs premières rencontres. Sur le coup, le général aurait préféré faire mine de n’avoir rien entendu afin de poursuivre sa route. Cependant, il n’était pas du genre à fuir les dialogues. Au contraire, il les aimait et il se disait qu’il serait peut-être en mesure de trouver une phrase ou une parole lui permettant de se ressourcer. Se basant sur cette possibilité, il dévoila lentement le visage sous la capuche. Les traits qu'il dévoila étaient fatigués, signe que le sommeil n'avait pas été ponctuel cette semaine. Les nombreuses nuits à réfléchir et à voyager jusqu’à Earthéa l’avaient vidé de ses forces. Or, le plus difficile se situait dans le fait que sa force psychologique était excessivement faible. Là où le corps pouvait être épuisé, lorsque l’esprit était au tapis, tout le corps déclarait forfait. Ainsi, il dut se contenter d’offrir un maigre sourire au diplomate d’Earthea.

-Je ne fuis pas, je cherche quelque chose…

Pour une fois, Hayden n’était pas tout à fait certain de ses paroles. Il y avait une part de vérité, mais l’autre partie était sujette à réflexion.

-J’ai vu des chasseurs porter de tels habits, donc je me suis dit que ce serait une bonne idée si je ne voulais pas être dérangé, mais je suppose que malgré l’habit, la couleur de mes cheveux me trahira toujours…

Repensant soudainement à sa famille, le général ne put s’empêcher d’avoir un violent pincement au cœur. Ses géniteurs n’avaient jamais inspiré la positivité qu’ils auraient dû être dans sa vie. Au contraire, chaque fois qu’il repensait à eux, il se souvenait les nombreux malheurs qu’ils lui avaient fait vivre, surtout son père. Là où il aimait sa mère, son défunt géniteur lui avait toujours posé problème. Par chance, il avait hérité des traits un peu plus clairs de sa mère. C’était suffisant pour qu’il ne déteste point se regarder dans le miroir. Même s'il ressemblait beaucoup à son père, il continuait de penser qu'il n'était pas comme lui et qu'il ne lui ressemblerait jamais.

-Bref, si vous n’avez rien d’important à me dire, je pense que nos chemins se séparent encore.

Tournant promptement la tête en ayant l’intention de partir tout en évitant la discussion, Hayden confirmait le dilemme lié à ses premières paroles. Fuyait-il ou était-il en train de chercher quelque chose?


©Cain

Étrangement, Hayden tituba vers l’arrière. On aurait dit que Scipio prononçait des paroles qui avaient un effet dévastateur sur son corps. Il ne comprenait pas très bien sur quoi étaient fondées les accusations, mais il détestait lorsque les gens présumaient qu’il mentait. Surtout que sur le coup, le général était beaucoup trop pensif pour comprendre où le diplomate voulait en venir. En fait, il se questionnait sur l’état mental de celui-ci. Était-il ivre ou simplement dévasté par la conversation précédente qu’ils avaient eue?

-De quoi parlez-vous?

Faisant de nouveau face à l’homme qu’il avait tenté d'esquiver, le général se heurta à des indices qui ne concordaient pas avec l’analyse rapide qu’il venait de faire. Généralement, il arrivait à cerner la situation en peu de temps, mais cette fois-ci, il n’arrivait à rien. Tous ses calculs ou agencements de faits ne menaient à rien.

-Je ne vois pas en quoi mes origines Caeliennes influencent quoi que ce soit dans mon travail.

Souffrant d’incompréhension, le général serra la mâchoire. Il détestait ce sentiment d'incohérence. Généralement, il était un de ceux à comprendre plus rapidement que les autres. Généralement, il était celui qui faisait comprendre certains trucs aux autres et non le contraire. Cette fois-ci, il se sentait comme un enfant en quête d’apprentissage. Tel un poupon effectuant ses premiers pas, il tentait d’attraper la parcelle manquante pour résoudre l’énigme que lui imposait Scipio. Attendant patiemment une réponse, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une haine liée à son incapacité. Pourquoi tout devenait-il si complexe? Pourquoi…

-Surtout, je ne cache rien. Si vous remettez en question mon éthique, allez droit au but et dites-moi ce que vous me reprochez.

Martelant ses propos comme à son habitude, il attendait d’affronter la réalité qui l’attendait. Malheureusement, Hayden n'était pas prêt. Toutefois, il ne le savait guère. Or, la vie était composée de multiples péripéties. Prêt ou pas, il fallait savoir encaisser.


©Cain

La science poussait l’être humain à avoir une soif insatiable de connaissances. Le jour où les premières découvertes importantes furent faites, le monde fut condamné à vivre dans un cercle éternel et vicieux. Là où l’ignorance aurait évité bien des ennuis à l’humanité, celle-ci ne pouvait être reniée aussi facilement. Le rejet d’informations clés représentait un faux dilemme. Souffrir en connaissant ou souffrir dans l’ignorance. Le raisonnement était clair et simple. Il valait mieux souffrir en connaissant que souffrir dans l’ignorance. Or, cette logique était tout sauf réelle. Là où les effets dévastateurs de l’ignorance ravageaient autrui à court terme, ceux de la connaissance étaient bien pires. Ils pouvaient mener à la rémission instantanée comme menée au précipice quasi immédiat.

-Quoi?!

Optant indirectement pour la solution à court terme, le général ne pouvait s’empêcher de ressentir de la frustration. Hier il voulait disparaître et aujourd’hui il voulait rester pour en apprendre davantage. L’incohérence était claire et nette autour de lui. Son aura de confiance et d’affirmation venait de s’éclipser pour faire place au néant. Il était fragile, faible, mais surtout influençable. Pire encore, lorsque l’être humain atteignait cet état de fragilité, au lieu de fuir, il faisait tout pour trouver une indication quelconque. En quête d'une fondation sur laquelle s'accrocher, ce geste désespéré était pitoyable puisque bien souvent il enfonçait le couteau dans la plaie.

-Je déteste que les gens me fassent attendre, donc allez droit au but!

Quelle était cette colère soudaine qui marquait les traits pâles de l’homme de glace? Le rouge était signe de vie, de sang, mais cette fois-ci, il représentait surtout la douleur. Précédemment, le rouge avait connoté l’échec. À l'instant, il exprimait la colère. Demain, qu’allait-il exprimer? Suivant cette fatalité, il ne pouvait s’empêcher de s’insurger. Comblant la distance entre lui et Scipio, il se présentait aux premières loges, prêt à entendre ce qu’il avait à dire.

-J’espère pour vous que vos paroles auront du sens parce que …

Même en réalisant qu’il s’était emporté pour rien, il était trop tard. Son cœur battait à un rythme saccadé et sa respiration était excessive. Hayden était en quête d’haleine et le faire attendre plus longtemps ne faisait qu’augmenter le stresse qui était déjà en dehors de son contrôle. Son corps réagissait avant même de connaître la nouvelle. La connaissance était méliorative, mais à un certain moment, elle devenait excessive et à double tranchant. La vérité était douloureuse et aujourd'hui, il allait goûter à sa propre médecine.

©Cain

Alors qu’Hayden s’apprêtait à s’esclaffer et à détruire totalement les soupçons de Scipio, sa gorge se bloqua. On aurait dit que son esprit avait pris conscience du poids des accusations, mais surtout de leur véracité. Pour une fois, il aurait préféré être sot et ne pas comprendre. Pour une fois, le déni était la solution qu’Hayden Knight aurait envisagée. Là où une onde de mystère planait autour de son père, il découvrait maintenant la main sanguinaire cachée derrière cette sensation.

-Qu…

Il n’arrivait aucunement à s’affirmer ou à se convaincre du contraire. Les liens synaptiques s’étaient faits à la vitesse de l’éclair et voilà que de nombreuses images défilaient devant lui. Le caractère de son paternel lui revenait en tête, sa manière d’être et sa manière d’agir confirmaient le tout. Hayden comprenait pourquoi il s’était senti chez lui lorsqu’il avait mis les pieds pour la première fois à Earthea. Hayden comprenait aussi pourquoi son père n’avait jamais été reconnu et pourquoi il voulait éviter de l’envoyer à l’armée. Même après son décès, cet homme continuait de le hanter et de tenter de briser sa vie.

-Pourquoi?

Le défilé d’indices se transforma pour mettre à la lumière tous les actes qu’Hayden. Le fait qu’il soit différent ne l’avait jamais inquiété. Or, le fait de savoir que le tout provenait de son paternel le dérangeait. Il avait passé sa vie à révulser la médiocrité qu’il représentait. Pourtant, il était dans la même impasse que lui et agissait probablement de manière similaire. Sur le coup, Hayden réalisait pourquoi il agissait si étrangement dernièrement. Le sang Earthéen avait fini par faire surface, brisant ainsi la rationalité et la luxure du pays du ciel. Le mélange des deux était éclectique et se faisait sentir à travers l’humeur massacrante du général. Sur le coup, il n’en pouvait plus. Il posa même ses mains sur sa tête, comme pour éradiquer cette idée de son esprit. On aurait dit qu’à tout moment, il comptait hurler la douleur qui le transperçait, mais il ne fit rien. Il se contenta de fermer les yeux en se mordant la lèvre jusqu’au sang.

-Merci Scipio...

Relevant la tête, le général arborait une mine défaite et perdue. Toutefois, une mince satisfaction se lisait dans ses iris. Il y avait encore une lueur d'espoir qui brillait et qui voyait le bon sens de la nouvelle.

-Je comprends mieux maintenant...

Tournant soudainement les talons, il fit un signe de main au diplomate. Hayden était choqué et bouleversé, mais au moins, il savait à partir d'où chercher. La réponse était en lui.

©Cain