Les voies du seigneur ...

C'était la première fois qu'Aiden mettait les pieds sur le territoire d'Earthea. Il avait déjà eu l'envie de s'y rendre parfois, mais il était très difficile d'atteindre la capitale et de s'y mettre en sécurité sans l'aide d'un guide connaissant parfaitement les lieux. Il n'avait d'ailleurs peut-être pas choisi le meilleur, mais l'occasion s'était offerte à lui sur un plateau d'argent, et ce type avait une dette envers lui, à présent. Que demander de mieux ?

L'anéantissement était ce qui pouvait le mieux décrire l'état dans lequel se trouvaient les terres d'Earthea. À Okeanos, la gangrène avait une tout autre forme ; celle de la dictature, qui dévorait les esprits et les reformatait à sa façon. Ici, c'était l'inverse. Tout était dévasté, et pourtant, les habitants semblaient vivre en harmonie avec leur environnement. Et ça, c'était un constat qui dépassait la logique d'Aiden.

« Vous croyez qu'on se fatigue au bout de cinquante mètres ? Vous sous-estimez notre endurance. » répondit-il sèchement à la question du blondinet, qui trouvait visiblement judicieux de partir du principe que les Okeanos étaient tous des assistés.

Le temple d'Earthea. Il se demandait bien pour quelle raison il l'avait emmené jusqu'ici, alors qu'il n'avait jamais formulé le souhait de venir rendre hommage à leur Dieu stupide. Aiden ne croyait pas en Okeanos, donc il ne croyait pas plus en Caelestis ou Earthea, il n'y avait pas de raison. Il prit tout de même la peine d'observer la grande bâtisse, dont l'architecture était assez hors du commun. Des lierres longeaient les murs immenses ; malgré toute cette destruction, la nature parvenait toujours à reprendre ses droits.

« Et... concrètement, votre Dieu, il sert à quoi ? » questionna-t-il tout en s'allumant une cigarette. « Ce n'est pas que je ne respecte pas Earthea, mais il me semble être le vilain petit canard du trio, quand je vois l'état de vos terres. »

Une poubelle, finalement. De quoi perdre tout espoir et toute foi.

Les voies du seigneur ...

La question lui fut renvoyée sous la même forme, par rapport au dieu qui était censé être le sien. Il n'avait jamais pensé qu'Okeanos était supérieur à un autre dieu, parce qu'il n'avait pas l'impression de lui devoir quoi que ce soit. Les divinités étaient un sujet bien obscur pour tout le monde, même si certains prétendaient les connaître mieux que les autres. Pour Aiden, ils n'étaient qu'un moyen de justifier tout ce que l'Homme ne pouvait expliquer, faute de pouvoir rassembler les morceaux de son histoire.

« Merci, c'est ce que j'attendais que vous répondiez. » dit-il d'un air distrait, alors que son regard se promenait sur chaque détail de l'imposant temple. « Earthea, Caelestis, et même Okeanos, qu'ont-ils fait pour qu'on les vénère ? J'aimerais bien le comprendre. »

Zackary se permit de le mettre en garde, de surveiller son langage dans le domaine du dieu Earthea pour ne pas se faire maudire par celui-ci ; ça lui faisait une belle jambe tiens. Il ne craignait pas son courroux. À seize ans, il avait grillé un joint dans l'enceinte du temple d'Okeanos et écrasé son mégot dans la cuve d'eau bénite, et Dieu ne l'avait toujours pas puni. Enfin, il s'était quand même pris un coup de pied au cul de la part de celui qui était le gardien du temple, à l'époque. Il était bien triste de penser que ce souvenir était l'un des plus lointains qu'il avait encore.

Son regard s'arrêta lorsqu'il recroisa celui de Zack, qui avait toute la confiance et l'admiration qu'un fidèle pouvait avoir en son Dieu. Aiden esquissa un petit sourire énigmatique, constatant avec satisfaction qu'il avait vu juste : les Earthea se voilent tous la face naïvement, cherchant diverses explications qui leur évitent soigneusement de reconnaître que leur domaine est une poubelle irrécupérable.

« Oui, j'ai une hypothèse. Vos terres sont polluées parce que vos ancêtres n'en ont pas pris soin. Honnêtement, je n'ai jamais cru en l'existence d'une quelconque divinité et je ne vois pas ce qui pourrait me pousser à changer d'avis... » répondit-il avec lassitude, tout en croisant les bras. Il n'y avait rien au monde qui l'ennuyait plus qu'un temple, surtout celui d'une autre nation. « Alors emmenez-moi à Demetrio. Je dois y chercher quelque chose, c'est très important. »

Les voies du seigneur ...

Le problème majeur des habitants d'Earthea, c'était qu'ils manquaient tous cruellement de logique. Ironiquement, ils n'avaient pas les pieds sur terre et n'arrivaient pas à penser de façon rationnelle. C'est en tout cas ce qu'en déduisait Aiden après avoir observé le comportement de ceux qu'il avait eu l'occasion de rencontrer. Ils formaient un peuple intéressant, mais leur mode de pensée restait tout de même un peu arriéré. Il fut surpris que le jeune homme lui demande des preuves, alors qu'il n'avait fait qu'évoquer une simple hypothèse - qui lui paraissait être la plus cohérente.

« Et vous, quelles sont vos preuves ? Vous avez eu une illumination et Earthea vous a parlé pendant la nuit ou quelque chose comme ça ? » demanda-t-il, railleur, pas vraiment convaincu par le témoignage de foi de ce brave monsieur. La religion avait quelque chose de pathétique aux yeux d'Aiden.

Le fait qu'il lui annonce qu'il lui faudrait attendre avant de se rendre à la capitale l'agaça légèrement. Il n'aimait pas attendre ; il avait l'impression que ses journées se résumaient à un simple « sois patient » qu'on lui avait rabâché toute sa vie, alors qu'au contraire, il n'avait pas de temps à perdre. Contrarié, il planta son regard dans celui du blondinet, qui braqua son arme dans sa direction et abattit un serpent sous ses yeux. Les mots qui suivirent attirèrent particulièrement son attention. Caelestis aimait bien se mêler de ce qui ne le regardait pas, décidément.

« Un trafic d'organes, comme c'est mignon. Les gredins d'Okeanos se seraient adoucis à ce point ? » répondit-il tout en réprimant un petit rire. S'ils savaient ce qu'il se passait dans les coulisses d'Okeanos, ils ne seraient pas ici à pourchasser des petits délinquants sans importance. Qu'ils sont naïfs.

Malgré son côté rebelle et désobéissant, Aiden était fier d'appartenir à sa nation et il n'avait pas envie de se cacher, de se déguiser pour passer inaperçu. La présence de l'armée de Caelestis ne l'impressionnait pas et il n'avait aucune raison de les fuir car il n'avait rien à se reprocher. Mais n'ayant pas envie non plus de tergiverser pendant des heures, il adressa un geste las à Zackary pour lui indiquer qu'il pouvait y aller s'il le voulait.

« Je n'ai pas besoin de votre protection. Mais vous n'avez pas intérêt à me planter ici. » dit-il d'un ton incisif.

Les voies du seigneur ...

Une fois qu'il se retrouva seul avec lui-même et face à l'immense et glorifiante statue d'Earthea, il se sentit revenir lentement à la sérénité. Les lieux de culte étaient très différents les uns des autres, mais ils dégageaient tous la même atmosphère. Le faciès d'Earthea affichait un regard confiant, presque un air de défi. Une angoisse soudaine s'empara d'Aiden ; quelque chose le gênait avec cette nation, sans qu'il sache réellement expliquer quoi. Une impression de déjà vu. Le sentiment irrépressible qu'une information capitale se trouvait sous son nez, sans qu'il parvienne à s'en saisir.

Après une longue attente dans le calme, le blondinet revint et brisa sa tranquillité en lui jetant un sac à la figure. Il tourna la tête vers lui, inexpressif, hermétique à ses sarcasmes. Il renchérit, plutôt. « Si Monseigneur Earthea veille sur moi, je ne vois pas pourquoi je devrais m'inquiéter. » répondit-il un petit sourire aux lèvres, d'un ton théâtral.

Sourire qui s'éclipsa bien rapidement lorsqu'il déplia le vêtement. Il ne put s'empêcher d'esquisser un léger froncement de sourcil. « C'est une plaisanterie j'espère. » La contrariété se lisait déjà aisément sur son visage. Porter un kimono était certainement la dernière chose qu'il aurait imaginé faire un jour et il s'en serait volontiers passé. Mais il ne fit aucune autre remarque et après avoir poussé un léger soupir, il tira lentement sur sa cravate pour l'enlever et la jeter plus loin. De même pour la veste de son costume. Il en avait beaucoup d'autres, ça ne ferait pas de grande différence. Il posa l'habit sur ses épaules et referma ses pans sur lui, avant de nouer la ceinture d'un geste las.

Et pendant ce temps-là, le blondinet continuait de le baratiner sur la parole divine. Rien qui ne parvienne à le convaincre, ni à lui arracher autre chose qu'un sourire narquois. « Vous ne vous êtes jamais demandé si votre gardien n'était pas un escroc se faisant passer pour un messie dans le but d'acquérir gloire et richesse grâce à votre crédulité ? » demanda-t-il d'un ton tout à fait sérieux, sans pour autant attacher de grande importance à ce détail.