Dans son dos, un mastodonte passa.
Mais Evangelisto, les yeux rivés sur ses deux grosses mains de conques ne vit pas la baleine couleur nuit se gondoler derrière lui. Il avait dans ses paumes désertiques quatre balles en tissus dont les coutures boursouflées s'apprêtaient à vomir leur mousse. Qu'elles éclatent aujourd'hui aurait été pénible pour Evangelisto, il n'en avait pas d'autres dans le cabas ocre posé derrière ses genoux. Dedans se trouvait des rubans, un chiffon salis de sueur, des pots de peintures mal refermés et un quignon de pain qu'il ne penserait pas à manger.
Evangelisto faisait son numéro.
Ses pitreries n'étaient pas très compliquées puisqu'elles n'en étaient pas. Lamentable et pathétique, le colosse mal barbouillé jetait, concentré, la langue pincée entre ses lèvres cramoisies, ses quatre balles dans les airs. Ses yeux translucides suivaient leur course en cloche et quand la première était sur le point de revenir dans ses mains, Evangelisto s'embourbait dans sa maladresse. Sa carcasse était trop épaisse, trop lourde et trop lente pour qu'il ne parvienne à referme son poing sur la petite balle de tissus. Les trois autres lui retombaient sur le crâne, en silence.
C'était à cet instant là que les rires retentissaient pour ce grand nigaud bariolé qui pouffait en soulevant ses épaules montagneuses.
Pourtant pas un bruit ne vint troubler le ballet de l'animal bleu dans le dos de Evangelisto. Il n'y avait personne autour de lui, de son petit tabouret de bois, de son sac ocre et de ses trois balles qui gisaient sur le sol propre de la cité sous-marine. Ils étaient probablement dans des laboratoires, des appartements où entre les cliquetis métalliques des machines du casino, mais Evangelisto l'ignorait.
Il voyait juste que des silhouettes noires et longues passaient devant lui sans s'arrêter en arc de cercle comme le faisaient les silhouettes de la cité de la terre. Il leva son index gros comme un pain et se gratta la tempe. De la peinture blanche se coinça sous son ongle.
Comme il ne comprenait pas, même sans public, même si les silhouettes lui lançaient des regards obliques et moqueurs, Evangelisto continua son numéro. C'était ce qu'on lui avait appris et lorsqu'il avait entamé une de ses actions mécaniques, il avait du mal à l'interrompre en plein milieu.
Un peu comme lorsqu'il commençait à taper.
Stopper ses habitudes le plongeait dans une frustration infernale.
Evangelisto, dans les murmures de la place cobalt, termina ses numéros. Il avait joué avec ses balles, ses foulards, fait des gestes ridicule avec ses mains, ses pieds et ses genoux, il était même tombé de son minuscule tabouret mille, mille fois trop petit pour lui. Il n'avait pas de costume car se changer était une action compliquée pour lui. Il perdait l'équilibre et, en passant ses jambes épaisses comme celle d'un taureau dans le fourreau d'un pantalon de clown, il l'aurait déchiré en forçant le passage.
Evangelisto était seul dans la place peu bruyante de la cité immergée.
Ses balles étaient par terre, son tabouret et ses foulards aussi. Il n'y avait personne pour déposer des pièces dans la cape en toile beige qu'il avait posé à quatre pas devant lui. Comme ce n'était pas dans ses habitudes, qu'aucun rond de métal ne vienne sertir sa cape, Evangelisto demeura les bras ballants, incertain.
Il ignorait si il pouvait ramasser ses objets, et s'il le pouvait dans quel ordre il faudrait les empoigner et cette si petite, si minime perturbation risquait de donner à sa bouche des torsions de folie.